Journaliste et écrivain issu d’une dynastie chrétienne maronite, Samir Frangié (photo la Méduse) est en Suisse où il participe à plusieurs colloques organisés sur le thème de la paix au Liban sous les auspices de l’association Reconstruire Ensemble. Son périple le conduira jusqu’au 4 juin 2014 à Genève, Lausanne, Berne et St-Maurice. La Méduse a rencontré à Lausanne cette figure de proue de la Révolution du cèdre.
PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN CAMPICHE
La Méduse: Quel message êtes-vous venu apporter en Suisse?
Samir Frangié: Une guerre civile entre chiites et sunnites menace le monde arabe. En donnant l’exemple que l’on peut vivre ensemble en paix à l’intérieur de ses propres frontières, le Liban peut jouer un rôle pour éviter cette guerre. Il faut aussi jeter les bases de rapports beaucoup plus sains entre les deux rives de la Méditerranée, entre l’Europe et le monde arabe. Tel est mon message.
Mais le Proche-Orient est-il vraiment maître de son destin dans un monde dominé par les rivalités entre grandes puissances?
Le printemps libanais de 2005 a été bloqué par les projets idéologiques du Hezbollah et de la Syrie. La crise syrienne a polarisé encore plus les extrémismes, islamiste et d’extrême droite, lesquels finissent par se rejoindre, quelque part. Je ne vois pas comment on peut parler de rapprochement alors que se commet un crime contre l’humanité. Un demi-million de morts et de disparus, six millions de personnes – bientôt elles seront onze millions – déplacées sur une population syrienne de 22 millions. Et la communauté internationale qui reste les bras croisés. Les arabes rejettent la Russie du fait de son appui à la Syrie. Mais le paradoxe est qu’ils rejettent aussi l’Amérique qui a justifié l’intervention en Libye mais laisse faire en Syrie. L’avenir fait peur, c’est pourquoi il faut trouver une solution. Il est essentiel que les modérés des deux bords s’unissent. Comment? Je n’ai pas de réponse, pour l’instant.
Un camp perd, l’autre ne gagne pas, avez-vous relevé récemment lors d’un récent colloque à Paris.
Oui c’est une phrase de Gramsci, l’ancien monde se meurt, le nouveau ne parvient pas à s’imposer. Au Proche-Orient nous assistons au conflit le plus long de l’histoire de l’humanité. On ne peut plus continuer comme ça. La fin de ce conflit est la condition sine qua non pour normaliser les rapports entre l’Occident et le monde musulman.
La Palestine: comment régler ce problème alors que les réfugiés débordent de tous côtés?
Il est clair que le problème des réfugiés serait plus facile à régler dans le cadre d’une solution politique. Les foyers de crise permanente peuvent être utilisés à tout moment pour relancer la tension. Avant son élection, Obama avait promis d’accorder la priorité à cette question. Je pense qu’il s’est heurté à l’opposition israélienne et a laissé tomber. Face aux surenchères internes et au bloc extrémiste, le camp de la paix s’est considérablement affaibli en Israël. La normalisation du dialogue pâtit d’une telle évolution négative.
Il y a cette lueur d’espoir: Mahmoud Abbas et Shimon Peres prieront pour la paix au Vatican le 8 juin prochain.
A mon avis, les chrétiens d’Orient sont appelés à jouer un rôle dans la recherche de la paix. Je juge très favorablement la récente visite du pape au Proche-Orient car elle a ouvert des portes dans ce sens par une série d’actions symboliques voire politiques. Le pape a renoué avec l’ancienne tradition de se proclamer d’abord Evêque de Rome. Il a appelé à la paix en Syrie, s’est arrêté devant le mur de séparation et a invité au Vatican Mahmoud Abbas et Shimon Peres. Le pape cherche à faciliter le contact avec les autres Eglises, notamment les orthodoxes. Je vais insister là-dessus lors de mon périple en Suisse.
L’hommage à Samir Frangié: https://www.lorientlejour.com/article/1046370/artisan-de-paix-orfevre-du-vivre-ensemble.html