La Marseillaise des Suisses n’est pas un mythe


«Sur nos mont quand le soleil…» Stop! Dès l’an prochain, les joueurs de l’équipe suisse de football, les Helvètes du pays et de l’étranger ne chanteront plus les paroles de l’hymne national.

PAR MARC SCHINDLER

Le gouvernement suisse a décidé qu’il fallait les mettre au goût du jour. Il a chargé la Société suisse d’utilité publique (ça fleure bon son XIXe siècle) de lancer un concours pour un nouvel hymne national. 208 créateurs ont déposé un projet – 129 en allemand, 60 en français, 7 en italien et 10 en romanche. Vous le saviez, vous, que dans ce pays de 8 millions d’habitants, on chante l’hymne national en quatre langues? Sauf que la plupart des Suisses ne connaissent pas les paroles et se contentent de fredonner la-la-la.

Ces mauvais patriotes ont des excuses. Les paroles de l’ancien hymne suisse «O monts indépendants» datent du XIXe siècle, mais la version actuelle est officielle depuis 1981. Le problème, c’était la musique. C’était la même que le God Save the Queen. Vous imaginez le cafouillage lors des matchs Suisse-Angleterre. Il a fallu le remplacer par le Cantique suisse, dont les paroles datent aussi du XIXe siècle. Les Français « abreuvent leurs sillons d’un sang impur». Les Suisses célèbrent «les beautés de la patrie qui parlent à l’âme attendrie.»

En France, toucher aux paroles de la Marseillaise, c’est attenter à l’âme de la France. Les Suisses n’ont pas ces scrupules. Pour moderniser le Cantique suisse, on a nommé un jury de 18 personnalités, écrivains, journalistes, politiciens. Selon la “Tribune de Genève” : «D’ici l’automne, le jury de 18 personnes devra choisir dix projets au maximum. Ils seront traduits dans toutes les langues nationales et interprétés par des professionnels. Au printemps 2015, les versions concurrentes seront révélées sur Internet. Un vote en ligne devra désigner trois finalistes. Lors de la Fête fédérale de la musique populaire en septembre 2015 à Aarau, il reviendra au public d’élire la proposition gagnante par téléphone, courrier électronique ou SMS. Enfin, celle-ci sera soumise, à un moment qui reste à déterminer, au Conseil fédéral afin qu’il l’entérine.». Mais, attention: il y a des règles, on ne peut pas proposer n’importe quoi. «Le futur hymne doit s’appuyer sur le texte du préambule de la constitution fédérale, qui évoque des valeurs comme la démocratie, la diversité, la liberté, la paix et la solidarité.» Pas question d’encourager le racisme, le communautarisme, la xénophobie. Ou l’appel au meurtre révolutionnaire, comme la Marseillaise. Ni même «L’éclair brillant des bombes éclatant dans les airs Nous prouva dans la nuit cet étendard si cher!» du Star-Spangled Banner américain. Encore moins: «Sois glorieuse, notre libre Patrie, Alliance éternelle de peuples frères ! Sagesse de nos ancêtres ! Sois glorieux, notre pays !»de l’hymne de la Fédération russe. On est Suisse, on n’est pas une grande puissance militaire!

Dans ce pays d’horlogers, on ne fait rien à la légère et c’est le peuple qui décide. Imaginez ça en France: on aurait la version rose PS, la version bleu marine, la version rouge de Mélanchon, la version rouge et bleu de l’UMP, la version Dieudonné, la version rap, la version du MEDEF et on demanderait aux Français de voter par Internet. Ca va pas la tête! Même en Suisse, des voix s’élèvent pour dire que créer un nouvel hymne national, c’est mission impossible. Quelles sont les valeurs suisses au début du XXIe siècle, dans un pays prospère, mais critiqué pour son égoïsme et sa culture de l’évasion fiscale, dans lequel le premier parti au Parlement est xénophobe et raciste, où les autoroutes et les transports publics sont au bord de l’étouffement? Encore heureux que les Suisses se retrouvent pour soutenir la Nati dont les meilleurs joueurs de portent des noms bien suisses, comme Shaquiri, Xhaka ou Drmic.

Dans les journaux, certains lecteurs protestent: «On n’en a pas besoin et l’on n’en veut pas d’un “nouvel hymne”. Le cantique suisse reflète et représente bien ce pays, il est solennel et harmonieux et parle de paix et d’harmonie. Les Français voudrait-ils changer leur Marseillaise aux accents guerriers, et les Anglais leur hymne à la reine? Ce concours est une mascarade destinée à niveler les particularités de ce pays dans l’internationalisme…». Une méthode façon télécrochet, décriée notamment par l’UDC nidwaldien Peter Keller, qui craint un «hymne croisé entre Conchita Wurst et DJ Bobo». Dans La Matin : «Je trouve cette histoire d’hymne ridicule. On veut un hymne qui claque, histoire de pouvoir bomber le torse lors des compétitions sportives…. Les Italiens, Français, Russes, Anglais ou autres ont des hymnes qui ont des significations historiques fortes, souvent en lien avec la guerre ou l’indépendance. Au final, on aura un hymne à la sauce “pop star” sans âme.»

Qu’est-ce qu’un bon Suisse? On a posé la question à mille Helvètes: «Même si on ne sait qu’une langue nationale, si on est naturalisé, on ne sait pas l’hymne national, on n’a pas fait son service militaire ou qu’on ne se lève qu’à 9h00 du matin, on reste un “bon Suisse”. La majorité des sondés (64%) refuse par contre ce statut à ceux qui ne vont jamais voter. Pour 43% des personnes, quelqu’un vivant de l’aide sociale n’est pas non plus un “bon Suisse». Ce sont les valeurs communes des Suisses au XXIe siècle. Mais on ne ne les trouvera pas dans les paroles du nouvel hymne national!

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2 commmentaires à “La Marseillaise des Suisses n’est pas un mythe”

  1. Bernard Walter 9 juillet 2014 at 16:55 #

    Refaire un hymne national me paraît être une drôle d’idée.
    S’il y a un genre débile, c’est bien celui-là.
    Alors restons dans le débile, et gardons nos hymnes débiles.
    Comment donner tort à des footballeurs qui rechignent à chanter en public un morceau qui ne fait en rien partie de leurs préoccupations ? Chanteront-ils plus la nouvelle débilité qu’on leur proposera ?
    Car on va les remplacer par quoi, nos montagnes éternelles et leurs cimes sublimes ? Par des remonte-pentes, des gay prides et des éoliennes pour être dans le vent ?

    « Sur nos monts quand le soleil
    Annonce un brillant réveil » : On veut faire quoi de mieux pour exprimer la Suisse ?
    La musique, hyper conventionnelle comme il se doit, mais expressive, parle aux « âmes attendries ».
    Et tout cela s’inscrit dans une durée historique, trouve ses racines dans une époque où la Nature est encore ressentie comme maîtresse de nos vies, c’est peut-être encore l’aspect le plus inspirant du texte.
    Bon c’est vrai, aujourd’hui, on a le droit de ne pas croire à Dieu, on pourrait s’en passer. Mais lui aussi est historique, on peut considérer qu’il appartient au passé, comme tout ce qui se rattache à ce patriotisme d’autrefois.
    Et puis après tout, pourquoi ne laisserait-on pas la possibilité à ceux qui veulent prendre ce texte à la lettre de vivre un moment d’exaltation en chantant leur “hymne national” ?

  2. Christiane Betschen 10 juillet 2014 at 21:27 #

    A la fin du XIXe siècle, on a créé un jour de fête nationale. Cette fête se réfère à des images fortes, la pomme sur la tête du fils de Tell, la tempête qui fait chavirer la barque du représentant de l’empereur… ces images nous parlent de liberté, de victoire des petits sur les puissants ! la gageure était réussie !
    Je pense qu’aujourd’hui il sera très difficile de créer un nouvel hymne qui soit fédérateur, donc qui parle au plus grand nombre sans être ringard.l

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