Gentil algorithme, mauvais livre


Vous connaissiez Short édition, l’éditeur français dont le slogan est «Avec vous, le talent court»?

PAR MARC SCHINDLER

Eh bien, sa direction vient de faire le buzz avec une proposition décoiffante: utiliser un algorithme pour juger de la qualité d’un livre, c’est à dire «un ensemble de règles opératoires dont l’application permet de résoudre un problème énoncé au moyen d’un nombre fini d’opérations. Un algorithme peut être traduit, grâce à un langage de programmation, en un programme exécutable par un ordinateur». Pour faire court, l’inventif éditeur développe «une équation capable d’évaluer les propriétés littéraires des ouvrages qui lui sont soumis».

Ouh là, là! C’est un ordinateur qui décidera si un livre mérite d’être publié? Pas du tout, réplique Quentin Pleplé, cofondateur et responsable technique de la maison: «Il ne s’agit pas de remplacer notre Comité éditorial par une machine: plutôt que cette dernière serve de filtrage-assistant, dans une détection, moins de la qualité littéraire, que de l’absence de qualités. En somme, l’ordinateur va pointer, dans les textes qu’on lui fera découvrir, des séries de critères, qui seront alors confirmés par un cerveau humain, là où, aujourd’hui, nous faisons lire les livres reçus par cinq à dix personnes. Un gain de temps, pour chacun.» Ah bon, on croyait qu’il s’agissait de littérature. C’est du business! Short édition a publié 4000 oeuvres mises en ligne sur les 20000 qu’elle affirme avoir reçues. Elle prétend en recevoir 1500 par mois.

Short édition est un drôle de zèbre dans la vie littéraire française. Selon Maddyness, le magazine des startups françaises, c’est une startup familiale «née d’un déjeuner familial du 14 juillet. Un oncle (48 ans, histoire et gestion, anciennement éditeur et Internet) dit à sa soeur qu’il veut créer une entreprise dans l’édition. La soeur (52 ans, ingénieur) dit qu’elle change de job après avoir dirigé pendant 8 ans une entreprise de e-learning. Le fils de la soeur (25 ans, X+ UC San Diego), qui est geek et data scientist, propose de donner un coup de main». Vous avez dit littérature? Et hop, en 2011, les joyeux compères de Grenoble trouvent des sous pour créer Short édition, «la startup familiale qui défend tout qui se lit en moins de 20 minutes». Pour la modestie, elle ne craint personne: «Nous animons avec passion et humour la communauté des lecteurs et des auteurs qui osent aimer les histoires courtes. Pour sauver la lecture et créer l’habitude la lecture sur les petits écrans. Pour libérer les talents littéraires». Vaste programme! Pas de quoi faire trembler Gallimard, Hachette et Flammarion.

Le système Short édition est bien rôdé: ce sont les lecteurs internautes qui décident de ce qui vaut d’être publié: nouvelles, BD, histoires courtes. «Il y a en pour tous les goûts, écrivains ou dessinateurs. C’est une possibilité unique d’être publié et donc connu et reconnu pour ses talents!» Précision: «si l’oeuvre est mise en compétition et si au cours de ces 18 mois qui suivent la mise en ligne de l’œuvre, celle-ci n’a pas été désignée comme Lauréate par les Lecteurs, n’a pas été désignée comme Chouchou par le Comité éditorial du site, n’a pas été publiée en format numérique, n’a pas été publiée en format papier ou n’a fait l’objet d’aucune autre forme d’exploitation et de valorisation, shortEdition vous rétrocède les droits d’exploitation de l’œuvre.» Nicolas Boileau avait raison: «Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement – Et les mots pour le dire arrivent aisément.». Parmi les chefs-d’oeuvre de la littérature récemment publiés et «en compèt pour le Grand Prix Automne 2014»: «Le dernier clic» de Claude Fruiz; «Des jours pas comme les autres» de Claudebrandor ou encore «Mémé, sa pétoire et Pépé» de Jivaro. Que des chefs-d’oeuvres injustement méconnus!

On comprend mieux pourquoi les astucieux éditeurs de Short édition ont besoin de l’ordinateur pour évaluer les qualités littéraires de leurs talents littéraires: «une première base de 25000 oeuvres sert donc à remplir l’esprit de l’intelligence artificielle, afin de lui fournir les bases d’une première série d’évaluation. Avec le temps, l’outil disposera de nouvelles références, de nouveaux critères, et apportera un regard de plus en plus correct sur la probabilité d’une qualité littéraire, pour les textes qui nous seront présentés: indicateurs sémantiques – le nombre de répétitions d’un mot, ou de plusieurs, à l’intérieur du texte; cela impliquera également de faire apprendre à la machine des figures de style, comme l’anaphore, pour mieux orienter ses conclusions… Le recours à des termes argotiques, vulgaires ou des mots rares pourra apporter des indications sur la qualité globale, et proposer un tamis pour anticiper certains textes».

Bref, c’est de la recherche appliquée en informatique orientée littérature, pour reprendre la novlangue à la mode. Evidemment, Rabelais (trop vulgaire), Céline (quel style!) ou Claude Simon (quel charabia!) n’auraient jamais obtenu le Grand Prix de la nouvelle courte de Short édition. Comme le disait Flaubert: «La forme est la chair même de la pensée, comme la pensée est l’âme de la vie.». Mais qui lit Flaubert sur l’écran de sa tablette ou de son smartphone?

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