Ils ne pouvaient pas me laisser tranquille sur ma comète?
Christian Campiche
J’étais si bien à 500 millions de kilomètres de la Terre. Je dessinais des moutons, pas la moindre chance de voir un contrôleur du fisc. Au diable le DOJ, la Finma, les flics qui fourrent leur nez dans les dossiers de mes clients. Mais Rosetta a débarqué et depuis je vis l’enfer. Elle a d’abord braqué sur moi le faisceau de sa torche, j’ai tenté de me protéger les yeux avec des lunettes noires. Puis quelqu’un m’a demandé mon identité, j’ai répondu: G.G., gérant de fortune, ex-cadre très supérieur d’une grande banque suisse! Ils ont enregistré mon nom.
C’est alors que j’ai remarqué une inscription sur le robot: Astrium. Curieux, j’ai consulté wikipedia et j’ai lu que cette entité était le chef de file du consortium qui parraine la mission spatiale. Intégré au sein de l’avionneur Airbus, Astrium s’appelait autrefois Matra, un fabricant de missiles. Ce n’est pas pour rien qu’il est associé dans la voûte céleste au marchand d’armes Dassault, notamment.
Mais alors, ces hiéroglyphes sur l’obélisque à la gloire de Philae, ces inscriptions qui justifient une dépense de deux milliards de francs suisses au profit des PME de logiciels, routeurs, smartphones, caméras et autres acteurs du numérique, sont-ce des balivernes médiatiques? Pas du tout, me répondit une voix venue du ciel. Ils font progresser la science et l’algorithmique sur les marchés financiers, dadais de banquier. Il n’a fallu que quelques minutes aux informations glanées par le robot pour traverser le cosmos et parvenir au QG de Philae. La technologie accélère les performances sur les marchés boursiers. Au bout du compte elle sert le bien-être de l’humanité. Je me rassis, perplexe, dans l’obscurité qui retombait sur ma rosette.
Chronique parue dans GHI du 19 novembre 2012.