Les syndicats français sont des champions pour détourner le droit de grève.
PAR MARC SCHINDLER, Alès (France)
Un conducteur du métro vient en aide à un passager qui a tiré le signal d’alarme, après avoir eu la main coincée dans une porte. La victime lui donne un coup de tête qui lui casse le nez et s’enfuit. Tous les conducteurs de la RATP décident un «arrêt de travail spontané» et paralysent les transports publics parisiens. C’est une pagaille monstre, plus d’un million de passagers sont bloqués. Bien sûr, agresser un fonctionnaire est un délit grave. Mais vous ne voyez pas en quoi paralyser Paris et prendre en otage un million d’usagers aide à retrouver l’agresseur? Vous êtes vraiment à côté de la plaque!
L’«arrêt de travail spontané» , c’est l’arme fatale de la revendication à la française. Ce n’est pas une grève, qui exige un préavis de 5 jours et qui n’est pas payée. C’est, selon le droit français, «une cessation concertée: une concertation préalable des salariés doit avoir lieu mais la grève spontanée des salariés dès lors qu’elle correspond à une décision commune est licite.» On ne sait pas quand ni comment les conducteurs du métro ont pris une décision commune à 5 heures du matin. On soupçonne que ce sont les dirigeants syndicaux qui ont décidé pour leurs adhérents. Si, à chaque fois qu’un pharmacien est agressé par un toxicomane, toutes les officines de France baissaient leurs volets, le gouvernement aurait tôt fait de réagir énergiquement. Mais, avec les tout-puissants syndicats des transports publics, c’est une autre chanson. Leur capacité de nuisance est inépuisable.
Comme le dit très bien un abonné du “Monde”: «Ce genre d’arrêt de travail montre à quel point le service public est totalement non concerné par le respect des usagers voyageurs. Ces conducteurs savent les conséquences de leurs actes, mais ils s’en foutent. Qu’ils règlent leurs problèmes avec la direction de la RATP, mais qu’ils fassent leur boulot ou qu’ils dégagent. Il y a des centaines de milliers de chômeurs qui aimeraient travailler à leur place!»
C’est là le fond du problème: bien sûr, les syndicats manifestent leur solidarité après leurs collègue agressé. Mais ils en profitent pour faire pression sur leur direction pour faire aboutir leurs revendications. Tout le monde le sait: l’«arrêt de travail spontané», c’est un abus licite du droit de grève, toléré par le gouvernement pour avoir la paix sociale. Mieux vaut avoir un million d’usagers mécontents que des syndicat combatifs. Le problème, c’est qu’en cédant à chaque revendication syndicale, on encourage l’intransigeance et la prise des usagers en otage. Depuis des années, la CGT, premier syndicat de la RATP, et Sud rivalisent dans la surenchère pour faire aboutir leurs revendications et ils multiplient les grèves. Ils dénoncent des «méthodes de management qui ne rendent pas un collectif de travail serein, la souffrance au travail, conséquence d’une politique du chiffre, qui impact dangereusement la sécurité ferroviaire».
Les Français qui sont matraqués par le chômage et le poids des impôts supportent de plus en plus mal ces grèves à répétition. Ils veulent bien reconnaître que les conducteurs de métro ou de bus font un métier pénible. Mais ils savent aussi qu’ils bénéficient d’un régime de retraite généreux. Ils peuvent prendre leur retraite à 50 ans, au lieu de 60. Leur patron, la RATP, finance 18,43% de leur cotisation contre 10% pour les autres salariés. C’est l’Etat qui subventionne les retraites de la RATP: 532 millions d’euros en 2011. Bien sûr, les syndicats font feu de tout bois pour préserver leurs avantages. Mais la Commission européenne a fixé son objectif: en 2019, la concurrence sera totale dans les transports. Et il faudra bien harmoniser les régimes spéciaux de retraite, très généreux et très coûteux, avec le régime général. Vous avez compris? L’enjeu de cet «arrêt de travail spontané» va bien au-delà d’un nez cassé et d’une journée de galère pour un million de passagers de la RATP.