La chute d’une icône TV


Vous ne connaissez pas son nom, ni son visage. Pourtant, pour des millions de téléspectateurs américains, Brian Williams est une icône, la star de la chaîne NBC.

PAR MARC SCHINDLER

Tous les soirs, depuis dix ans, il présente la célèbre émission d’information «NBC Nightly News», regardée par 9 millions d’Américains. C’est le journaliste de télévision le plus respecté aux Etats-Unis, il a reçu les distinctions les plus prestigieuses. Le magazine “Time” l’a même nommé l’une des cent personnalités les plus influentes du monde.

Il vient de tomber de son piédestal pour avoir menti. En mars 2003, Williams était correspondant de guerre en Irak. Il a affirmé qu’il se trouvait à bord d’un hélicoptère qui s’était écrasé après avoir été touché par un tir ennemi. Il a raconté ce glorieux fait d’armes il y a deux ans. Douze ans plus tard, des pilotes se souviennent de l’incident. Ils racontent que William n’était pas dans l’hélicoptère touché, mais dans un autre, qui a atterri une demie heure plus tard. Le héros du journalisme de guerre est pris en flagrant délit de mensonge. Sa crédibilité en prend un méchant coup. Il a dû admettre qu’il s’était trompé et s’excuser. Mais un mensonge n’arrive jamais seul. En 2005, Williams était à la Nouvelle Orléans pour rendre compte de la catastrophe Katrina, qui a fait des milliers de morts. Là aussi, il a embelli l’histoire, en racontant qu’il avait vu un habitant se suicider. Des témoins mettent en cause cette histoire.

Vous me direz, ce n’est pas la première fois qu’un journaliste tord un peu la vérité pour se donner le beau rôle. Brian Williams a profité de sa prétendue bravoure en Irak pour devenir une star et le présentateur le plus écouté de NBC. La crédibilité d’un journaliste de TV se construit lentement, avec des reportages sérieux, des commentaires compétents et le respect de la vérité. Il faut dix ans de travail pour y arriver, mais la confiance du public peut disparaître en dix minutes. La tentation est particulièrement grande pour un journaliste de TV d’améliorer son image, sa notoriété… et son salaire. Williams touche 10 millions de dollars par an pour produire et présenter l’émission phare de NBC. Pourquoi payer un journaliste comme une pop star? Mais parce que sa notoriété rapporte des millions de dollars en pub!

En France, un mensonge d’un présentateur TV entraîne au pire une mise à l’écart ou quelques ricanements des confrères. Souvenez-vous de la fausse interview de Fidel Castro par Poivre d’Arvor, reconstituée dans sa chambre d’hôtel. Ce mensonge flagrant de l’a pas empêché de présenter le journal de TF1. Pas aux Etats-Unis. Les médias américains ne sont pas plus vertueux que les français. Mais lorsque le navire amiral de NBC est pris en flagrant délit de manipulation du public, ce sont les publicitaires qui toussent et les recettes qui s’envolent. Mortel, pour une chaîne commerciale. Avec ses shows populaires comme Saturday Night Live, ses séries et ses émissions sportives, The National Broadcasting Company est devenue N° 2 des médias radio et TV derrière son concurrent de toujours CBS. Ses émissions politiques, comme Meet the Press, ont une forte influence sur les électeurs. Même si les confrères jaloux de Brian Williams critiquent sa complaisance envers le président Obama et Hillary Clinton. Pour essayer d’éteindre l’incendie, la patronne de NBC a lancé une enquête interne, ce qui fait bien rigoler ses critiques.

Si la crédibilité de son principal anchorman est mise en cause, c’est NBC qui est menacée politiquement et économiquement. Williams est grassement payé pour dire la vérité. Les Américains ont vu trop de politiciens et de journalistes mentir pour avoir encore des illusions. Comme l’écrit Ed Rogers, un consultant politique, dans le “Washington Post”: la révélation de son mensonge n’est pas une affaire mineure. «Il est étonnant que quelqu’un qui a la stature et la responsabilité de Williams ait aussi la capacité intérieure de tromper le public. Si on lui permet de surfer sur ce scandale ou de le supporter, ce n’est pas seulement NBC qui sera touchée. Cela dira aussi quelque chose d’important sur ce qu’est devenu le business de l’information TV». Une lectrice du New York Times est lucide: «Si NBC laisse partir Williams, cela signifiera que la crédibilité est son principal critère. Si elle le garde, cela voudra dire qu’elle estime plus le pouvoir de sa star». Il n’est pas certain que, comme l’affirme cyniquement un critique, si Williams a pu survivre à un missile, il survivra aussi à ce scandale. Quand la crédibilité des journalistes est en jeu, dans l’industrie des médias américains, le public et les publicitaires ont toujours raison.

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Un commentaire à “La chute d’une icône TV”

  1. Bernard Walter 9 février 2015 at 21:02 #

    “Si Brian Williams avait regardé la caméra bien en face et déclaré: “Les forces des USA reviennent en Irak pour venir en aide au peuple irakien” , personne ne l’aurait accusé de mentir. Et pourtant, c’est bien un mensonge, exactement comme les autres mensonges.” Marc Ash, fondateur de Reader Supported News.

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