Nous vivons en oligarchie et non en démocratie


Le choc des civilisations du 21ème siècle est bien moins celui du fait religieux que de celui de l’abandon de la démocratie en Occident! 

PAR LILIANE HELD-KHAWAM

Plus le mondialisme avance et plus la démocratie recule. La financiarisation à outrance des moindres recoins de la société inverse toujours plus les priorités de celle-ci pour finir par l’asservir.

En une quinzaine d’années, la soumission des ressorts démocratiques aux méandres de la finance ne peut être contestée. Les éloges de la démocratie sont dorénavant réservés aux discours préélectoraux ou justifiant des guerres. Mais dans les faits le concept démocratique semble bel bien se déliter tendant à disparaître de pans entiers de la société.

Le sentiment général est que la démocratie montre des signes inquiétants d’essoufflement. Ces dernières années, des bouleversements comportementaux des élus ont créé des malaises lancinants. Cela va de «simples» mensonges sous forme de promesses préélectorales jamais mises en place à une proximité voire promiscuité avec le monde de la haute finance.

Les faits étant têtus, voici plusieurs exemples qui donnent à penser que la démocratie est malade en Occident:

  • L’exemple de la Grèce: Ce peuple est débiteur involontaire d’une dette contractée auprès des financiers de la planète. Depuis quelques semaines, les banques grecques capables de racheter de la dette publique n’ont plus accès aux marchés financiers. Celui-ci est bloqué par la BCE. C’est donc une sorte d’embargo qui est mis en place aussi longtemps que la Grèce et son peuple ne se soumettent pas à un budget et une stratégie dictés par des tiers.

Cela n’est pas démocratique? Voici la réponse du nouveau président de la Commission européenne au lendemain des dernières élections grecques: «Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens.» Dont acte.

  • Le scandale du Luxleaks: Un scandale majeur a éclaté récemment concernant le Luxembourg. Des centaines de firmes – principalement transnationales – auraient signé des accords fort avantageux avec le fisc luxembourgeois. Cette pratique – si elle devait être avérée – ferait du Luxembourg un pays de simple domiciliation d’entreprises et de transit financier pour de simples raisons fiscales.

Cela devrait même être considéré comme de la concurrence déloyale envers les autres pays de l’Union européenne (Suisse comprise). Au moment où les autres pays sont appelés à pratiquer l’austérité, cela passe mal.

Le Luxembourg serait-il alors devenu une pompe aspirante des capitaux de la région dans un but de défiscalisation? Ce petit pays dont la production industrielle est quasiment inexistante va jusqu’à battre en termes de  pouvoir d’achat un pays producteur de pétrole tel que la Norvège… Et si l’argent des firmes transnationales grecques se trouvait au Luxembourg? Qu’en penseraient les Grecs saignés à blanc pour rembourser une dette publique qu’ils n’ont contractée que par la volonté de leurs dirigeants?

L’ironie de l’histoire est que  l’actuel président de la Commission européenne n’est autre que le premier ministre qui était en charge au moment où se serait déroulée cette pratique fiscale déloyale… Une enquête est évidemment demandée par certains députés européens. Mais, les chefs des fractions politiques du parlement européen ont rejeté la mise sur pied d’une enquête parlementaire. Les lanceurs d’alerte eux ont été interpellés…

  • L’évasion fiscale pour les uns est élégamment appelée optimisation pour les autres: Que l’on aime ou pas payer des impôts, nous pouvons reconnaître que sans eux la démocratie  se viderait de son sens. Les impôts permettent le soutien des plus démunis de la société. Or, lorsqu’une frange de la société en est dispensée, cela revient à créer une élite. Cela est précisément le cas d’un certain nombre de fonctionnaires internationaux. La Suisse a même prévu un accord bilatéral avec l’UE spécifique aux fonctionnaires européens retraités en Suisse.

Une autre catégorie de la société bénéficie de ce que l’on appelle l’optimisation fiscale. Il est tout à fait légal de créer des sociétés dites «offshore» dans les vrais paradis fiscaux dont le taux d’imposition ne dépasse pas le 0%. Ces sociétés ne créent aucun emploi et n’en font perdre aucun non plus. Elles sont juste là pour faire faire un détour aux flux financiers d’une entreprise réduisant de manière significative son imposition dans son pays d’origine.Voici la définition que le web donne de l’optimisation fiscale:

 «Techniques qui permettent à une entreprise le transfert de son assiette taxable entre deux pays. L’optimisation fiscale permet à des multinationales de localiser leurs bénéfices dans celui des Etats d’implantation qui pratique le taux d’impôt sur les sociétés le plus bas. Elle peut emprunter différentes stratégies comme la sous-capitalisation des filiales dans les pays à forte imposition ou l’utilisation de procédés de facturation intragroupe.»

Or, les gouvernants des pays occidentaux se sont attelés à transformer les régies publiques d’hier fort rentables en sociétés anonymes et autres holdings. Ces nouvelles entités actives par exemple dans le domaine du rail ou de l’électricité sont tout ou partie propriété des Etats. C’est le cas pour la Suisse de Post SA ou CFF SA. Pour la France, on peut citer le cas de EDF dont l’Etat est actionnaire à plus de 80%.

Or, lorsque ces entreprises font de l’optimisation fiscale avec des biens publics, on peut considérer que l’appellation est pour le moins abusive. Cela revient à ce que les représentants de l’Etat considèrent que l’impôt n’est pas dû par certains groupes du pays, favoritisme strictement interdit dans une démocratie saine. C’est dans ce contexte qu’une équipe de France a mené l’enquête sur les pratiques d’EDF.

  • Une initiative européenne collecte le million de signatures nécessaire est rejetée: L’Union européenne négocie avec les Etats-Unis un accord appelé traité transatlantique (TTIP). Il s’agit là de divers accords de libres-échanges entre l’UE et l’Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada). Cet accord, s’il devait aboutir, reprendrait automatiquement les législations des pays américains beaucoup plus favorables aux firmes transnationales qu’aux consommateurs. Un des effets indésirables décrié serait la capacité des transnationales de porter plainte contre tout gouvernement qui lui imposerait des contraintes ( phytosanitaires par exemple).

Plus de 300 organisations se sont constituées en collectif appelé «STOP-TTIP». Celle-ci a lancé une ICE  (initiative citoyenne européenne) et a récolté le million de signatures nécessaire. Cette initiative a été tout simplement rejetée.

Une vidéo de Gabriel Rabhi est très formatrice sur les différents systèmes de gouvernance. Elle explique les mécanismes sous-jacents à une gouvernance et les enjeux pour le citoyen…

Une phrase de cette vidéo est essentielle. Il y  est dit que plus les mécanismes démocratiques fonctionnent, plus le peuple a son mot à dire et moins la pauvreté est présente dans la société. On ne peut s’empêcher de penser au cas de la Suisse où le pouvoir d’achat a drastiquement changé depuis la réforme de la Constitution de 1999 qui a ouvert la porte à la centralisation des pouvoirs à Berne. De plus, on y voit surgir la place des lobbys et des partis politiques en tant que partenaires de gouvernance…

Les intérêts privés et publics se mélangent encore moins bien que l’eau et l’huile…

Enfin, s’il devait y avoir le moindre doute sur la fin des démocraties qui met le peuple au coeur de la vie politique, citons une étude faite par une équipe de Princeton University qui dénie aux peuples la capacité d’autogestion… Il y est dit ceci: «Multivariate analysis indicates that economic elites and organized groups representing business interests have substantial independent impacts on U.S. government policy, while average citizens and mass-based interest groups have little or no independent influence. The results provide substantial support for theories of Economic-Elite Domination and for theories of Biased Pluralism, but not for theories of Majoritarian Electoral Democracy or Majoritarian Pluralism» ou  «L’analyse multivariée indique que les élites économiques et les groupes organisés représentant des intérêts commerciaux ont des impacts indépendants importants sur la politique du gouvernement des États-Unis, tandis que les citoyens moyens et les groupes d’intérêt fondées sur la masse ne ont que peu ou pas d’influence indépendante. Les résultats fournissent un appui substantiel en faveur des théories de la domination par l’Elite-économique et pour les théories de pluralisme biaisé, mais pas pour les théories de la démocratie électorale Majoritaire ou pluralisme majoritaire».

Le blog de Liliane Held-Khawam

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2 commmentaires à “Nous vivons en oligarchie et non en démocratie”

  1. Pierre-Henri Heizmann 15 mars 2015 at 11:23 #

    Votre analyse est fort pertinente. Il est des plus regrettables que de tels éclairages soient absents des médias (merci à la Méduse). Car en effet, le-la citoyen-ne n’est plus considéré-e comme un-e acteur-trice responsable. Il-elle devient un-e consommateur-trice assisté-e, gouverné-e par des élites politiques professionnalisées, elles-mêmes pilotées par les lobbys économiques. A titre d’illustration, parmi mille autres, comme il est navrant d’entendre à chaque soir de votations dans notre pays, les cris d’orfraie des technocrates se joindre à ceux de la classe politique bien-pensante, se gausser des limites atteintes par la démocratie directe. La dialectique d’usage attribuant le vocable ò combien péremptoire de “populiste” à tout ce qui ne se soumet pas à la pensée politiquement correcte, à savoir comme vous le relevez, ce projet rampant visant la mise en place d’une oligarchie consumériste mondiale.

  2. Christian Campiche 16 mars 2015 at 11:47 #

    La démocratie vaut pour les grandes surfaces. Pour surconsommer, pour surjeter là oui, les citoyens sont tous égaux.

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