Il y a au moins un sujet sur lequel les Français sont tous d’accord: c’est que leur chère bagnole est la vache à lait du gouvernement.
PAR MARC SCHINDLER, Alès
A chaque plan du gouvernement, à chaque mesure pour limiter les morts sur la route, le choeur des automobilistes hurle au complot, au sacrilège et à l’extorsion de fonds. Les morts sur la route sont moins nombreux en mars, mais, l’an dernier, ils avaient augmenté de 4%, pour la première fois depuis douze ans. Le ministre de l’Intérieur annonce de nouvelles mesures: interdiction du téléphone portable au volant, limitation à 0,2%o du taux d’alcoolémie pour les jeunes et baisse de la vitesse de 10 km/h sur les routes à double sens sans berme centrale. Comme moi, vous dites: c’est le bon sens. Ignare que vous êtes! Limiter l’alcool pour les jeunes? Le député qui préside le Conseil national de la sécurité routière (CNSR): «Les spécialistes constatent qu’il y a très peu d’accidents corporels ou mortels liés à un taux d’alcoolémie inférieur à 0,5 gramme». La présidente de la Ligue contre la violence routière: «Il s’agit d’une mesure politiquement correcte qui stigmatise les jeunes et ne sert à rien». L’alcool tue un millier de Français par an, presque le quart de la mortalité routière. Le week-end et les jours fériés, 58% des accidents mortels sont dus à l’alcool. Le gouvernement consulte ses experts, qui proposent «la généralisation des éthylotests anti-démarrage en composition pénale». Mais les juges ne condamnent pas, parce que les éthylotests ne sont pas agréés!
Téléphoner au volant ou conduire, il faut choisir. Plus de la moitié des conducteurs font les deux, ils répondent à un appel, ils pianotent même sur leur portable pour envoyer un texto. Résultat: un accident de la route sur dix serait dû au téléphone, qui causerait la mort de 400 conducteurs par an. Selon la Sécurité routière, «Les conducteurs qui téléphonent au volant ont cinq fois plus de risques d’avoir un accident et le sur-risque existe toujours avec une oreillette ou un kit mains libres (quatre fois plus de risques d’accident). Téléphoner au volant change votre comportement sur la route: vous ne regardez plus vos rétroviseurs, vous ne vous arrêtez plus devant un passage pour piétons et votre temps de réaction peut augmenter de 70%.» Le CNSR avait recommandé l’interdiction d’utiliser au volant non seulement l’appareil tenu en main, mais aussi les kits mains libres. C’était le 21 juin 2013! En attendant, les constructeurs vantent leurs nouveaux modèles connectés, la dernière mode.
Le principal lobby de la bagnole, 40 millions d’automobilistes, lance une pétition franchement démagogique contre la baisse des limitations de vitesse: «Je suis un automobiliste raisonnable et responsable et… Je dis «Non» à davantage de restrictions… Je dis «Non» à des décisions prises arbitrairement par le Gouvernement». Dans le “Figaro”, les lecteurs s’indignent: «encore une loi imbécile, surtout destinée à rapporter de l’argent à l’Etat.» Un autre a trouvé les vrais coupables: «Il faut également verbaliser, les conductrices, qui se maquillent au volant, qui ne mettent pas les clignoteurs, qui ont un chienchien sur les genoux, qui déchiquètent leurs sandwich à pleines dents, qui téléphonent à leurs amants, ceux et celles qui roulent toujours à gauche sur les voies rapides, ceux et celles qui s’agitent comme des cabris sur leurs sièges en écoutant la radio à fond, qui fument en conduisant, et j’en passe… Ah, si j’étais député!».
Dans le “Parisien”, les lecteurs se lâchent: «Si les chiffres sont bons, on accroît la répression parce que c’est la preuve que cela marche. Si les chiffres sont mauvais, on accroît la répression car les automobilistes sont indisciplinés. Les automobilistes sont des vaches à lait qu’il faut exploiter au maximum car ils rouleront toujours. En France il n’y a que la répression qui marche de toutes façons». Un autre renchérit: «Si on veut vraiment contrôler tout le monde pour faire de l’argent (parce que c’est le seul but) et si on admet qu’un gendarme ou policier peut surveiller 100 personnes, il faudrait 180.000 policiers uniquement dédiés à la surveillance… on se fout de qui?» On vous le dit: la sécurité automobile, c’est comme le foot. Tous les Français sont des experts. Chacun a sa recette magique. Et tous sont d’accord pour tomber à bras raccourcis sur le gouvernement, de droite comme de gauche. Face à l’hécatombe automobile, l’opinion s’émeut quand 150 passagers meurent lorsque leur avion s’écrase contre une montagne. Mais quand 240 automobilistes sont tués en février, c’est sûrement la fatalité!
Pâques, l’heure du Christ et semaine des 35 heures… de bouchon ! Cet article vient à point nommé !
Quel rapport paradoxal que celui de l’Homo Modernus avec son veau d’or la voiture, à la fois vache à lait et vache sacrée !
J’avais un oncle, homme lettré et bien charmant, très âgé déjà, qui me déclarait un jour : « Ah la voiture ! C’était beau, la voiture ! »
Mais oui, il allait parcourir l’Italie, Venise, Florence, Rome, c’était le rêve, la route s’offrait à lui ! « Mais, cher Richard, c’était à la fin des années ’40 ! Tu as eu le meilleur, et aucun de tes semblables ne connaîtra plus cet âge d’or de ceux qui à l’époque possédaient une automobile. Aujourd’hui, c’est autre chose ! »
Il faut lire Illich (pas Lénine, Ivan)… Pour lui la voiture n’avait pas d’avenir car on finirait par rouler à la vitesse des escargots. Le scandale ce sont les CFF. Grâce au RER l’offre s’améliore mais il n’y a pas de cohérence d’ensemble. Avec leurs prix dissuasifs, on dirait qu’ils font tout pour que l’on continue à utiliser la voiture. Evidemment, l’Etat a tout intérêt à maintenir le contribuable-automobiliste sous sa coupe. L’essence lui rapporte des milliards. Mais qui se préoccupe vraiment des enjeux publics liés aux transports? Quelle société voulons-nous? Avez-vous entendu parler d’études prospectives financées par les pouvoirs publics?