Radio France, le gâchis


Vingt-cinq jours sans radio publique, la France n’avait plus connu ça depuis des dizaines d’années.

PAR MARC SCHINDLER, Alès

25 jours que la formule est répétée en boucle à France Info, France Inter, France Culture, France Musique: “En raison d’un appel à la grève par plusieurs organisations syndicales portant sur les difficultés budgétaires et la défense de l’emploi à Radio France, nous ne sommes pas en mesure de diffuser l’intégralité de nos programmes habituels. Nous vous prions de nous en excuser.” Et en avant le programme musical de grève enregistré.

La grève dans laquelle Radio France s’enlise a valeur de symbole. Le symbole d’un pays où on préfère enterrer sous le sable une bombe à retardement, en espérant que personne ne mettra le pied dessus. Quand la bombe pète, tout le monde en prend plein la figure! Un gâchis dans lequel tout le monde a sa part de responsabilité: le gouvernement, le Parlement, le Conseil supérieur de l’audiovisuel et les syndicats.

Le “Temps” résume bien le problème de Radio France: “un service public confronté à un déficit aggravé que l’Etat français refuse désormais de combler; une tutelle cynique qui refuse de trancher dans le vif (Radio France a sur les épaules deux orchestres symphoniques, un chœur, une maîtrise, plus un chantier ultra-coûteux de rénovation de son siège inauguré en 1963); une inquiétude maladive des musiciens, techniciens, producteurs et journalistes, dont les statuts protégés s’étiolent à grande vitesse, un scandale attisé par les révélations du ‘Canard Enchaîné’ sur le coût de rénovation de son bureau présidentiel aux parois en palissandre…”

Le premier coupable, c’est le gouvernement. Il a fixé un «Contrat d’objectifs et de moyens» (COM) aux nobles ambitions: Radio France doit «devenir la vitrine de la richesse culturelle et sociale du territoire tout en maintenant son statut de chaîne généraliste»; «la source référente d’information»; «la station du savoir et de la connaissance». Tout en diffusant surtout des chansons d’expression française et en poursuivant le développement du numérique. Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que ce vaste programme ne marchera que si l’Etat donne beaucoup d’argent, si la ministre de la Culture soutient le projet et si le CSA choisit un patron énergique et ouvert au dialogue avec les syndicats. Mais la France n’a plus les moyens de ses ambitions. Pour redresser ses finances, le gouvernement coupe 31 millions d’euros dans le budget de Radio France et bride la publicité. Selon la Cour des comptes: «Les recettes publicitaires de Radio France représentent 6 % du chiffre d’affaires à 40,4 M€ (en très léger retrait comparé à 2012). Le groupe public diffuse de la publicité sur trois de ses antennes: France Inter, France Info et France Bleu. Aux termes des articles 32 à 34 du décret du 13 novembre 1987 portant approbation du cahier des missions et des charges, Radio France peut uniquement diffuser sur ses antennes des messages de « publicité collective et d’intérêt général».

Autre boulet financier: “La rénovation du bâtiment Radio France a commencé au début du mandat de Jean-Luc Hees en mai 2009. Le coût prévisionnel total de l’investissement était estimé au 31 décembre 2013 à 385 M€ ; ce montant est supérieur de 57,6 M€ (+ 17,6 %) au budget global initial de l’opération déterminé en juin 2008 (328,2 M€)”.

Pour piloter Radio France, le CSA pensait avoir trouvé la perle rare, Mathieu Galley. Selon le “Temps”: “un jeune PDG, “ni énarque, ni polytechnicien, ni ingénieur des Mines (les trois filières «royales» de l’élite française), cet enfant du Sud-Ouest, produit de la méritocratie républicaine, apprend vite à rédiger bref, à parler concis et à satisfaire ses «parrains». Petit problème, le PDG ne connaît rien à la radio et à sa culture d’entreprise, avec ses 4500 salariés, ses baronnies, ses cadres bien payés, ses petites mains et ses syndicats revendicatifs. Il est incapable de dialoguer avec les syndicats, il a des idées carrées dans une maison ronde! En plus, il fait rénover son bureau pour 100 000 euros en même temps qu’il annonce un déficit de 21 millions et des centaines de licenciements. C’est l’étincelle qui met le feu aux poudres.

Côté politique, c’est la consternation. La jeune ministre de la Culture, Fleur Pellerin, va bravement au feu. Elle aussi est une erreur de casting. C’est une spécialiste du numérique, parachutée à la culture, alors qu’elle avoue qu’elle n’a pas le temps de lire ni d’aller au spectacle! Pendant trois semaines, elle serine son mantra: “il faut renouer les fils du dialogue social” et convoque le PDG de Radio France pour lui demander un plan stratégique. Elle finit par céder aux syndicats en nommant un médiateur pour éteindre l’incendie.

Les auditeurs de Radio France, privés de leurs émissions et condamnés à de maigres bulletins d’information, en prenant leur café ou en conduisant, subissent la grève. Ils écoutent les radios privées, Europe 1, RTL, NRJ, RMC. Les dirigeants de Radio France s’attendent à perdre un demi-million d’auditeurs et un million d’euros de publicité par semaine. Les dirigeants des radios privées montrent les dents: ils en appellent au premier ministre pour empêcher “l’ouverture généralisée de la publicité à toutes les catégories d’annonceurs sur les antennes de Radio France… qui bénéficie déjà d’une contribution publique de plus de 600 millions d’euros issus de la redevance audiovisuelle payée par les contribuables”.

Bref, un gâchis monumental, une crise financière, politique et d’image dont personne ne voit l’issue. La grève n’est jamais le moyen de trouver une solution à une crise. C’est comme la guerre: il n’y a jamais de vainqueurs, seulement des vaincus et des frustrations qui dureront longtemps!

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2 commmentaires à “Radio France, le gâchis”

  1. Pierre-Henri Heizmann 12 avril 2015 at 07:20 #

    Merci pour votre analyse. Une question : Le principe du service minimum n’existe-t-il donc pas pour les médias publics français?

  2. Schindler 12 avril 2015 at 09:03 #

    Non, le service minimum n’existe que pour certaines catégories de fonctionnaires : hôpitaux, transports, pas pour la radio, qui n.est pas un service public.

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