«Ma pomme, c’est moi. J’suis plus heureux qu’un roi». Ca ne vous rappelle rien?
PAR MARC SCHINDLER
Maurice Chevalier, 1936. Bon, je vous parle d’un temps que les moins de… 60 ans ne peuvent pas connaître: la gouaille, le canotier, la France heureuse, le Front populaire, les congés payés! C’est loin tout ça. Aujourd’hui, si je vous dis pomme, vous pensez à quoi? Apple, bien sûr, avec sa pomme croquée à droite. Ca non plus, ça ne nous rajeunit pas. Bon, je ne vais pas vous raconter encore une fois la saga des fêlés de l’informatique qui ont bricolé leur premier ordinateur, dans les années 70, dans un garage, selon la pieuse légende. Ni vous révéler pourquoi les deux Steve, Jobs et Wozniak, ont trouvé ce nom, Apple: parce qu’ils travaillaient dans un verger? en hommage à la maison de disques des Beatles? pour être avant la société Atari dans l’annuaire? Quand la légende est plus vraie que la vérité, imprimez la légende!
Apple, c’est la légende américaine à l’état pur. La pomme informatique qui a presque fait faillite, en 1985, après avoir viré son gourou, Steve Jobs. Le phénix né de ses cendres après le retour du magicien, grâce à ses produits fétiches en i: iPod, iMac, iPhone, iPad. Le N° 1 de l’informatique, qui vaut 758 milliards de dollars, avec son chiffre d’affaires de 132 milliards et son bénéfice net de 28 milliards. Le chouchou des investisseurs, avec une action qui a gagné 15% depuis janvier. C’est pas une pomme, c’est une pépite d’or!
Je vous fais un aveu: comme des dizaines de millions d’utilisateurs, je fais partie de la secte Apple. Je suis un dévot de la pomme, qui regarde avec dédain les accros du PC, ces attardés informatiques qui n’ont pas cédé au vertige des produits hightech à la pomme. Grâce aux as du marketing d’Apple, j’ai acheté à prix d’or presque toute la gamme: iMac, MacPro, iPad, iPhone, iPad. Sans parler de la souris sans fil Magic Mouse, du clavier sans fil, de l’Airport Time capsule. Ils sont pas beaux, mes bijoux Apple? Les champions de la séduction, ces modernes Circé, m’ont eu à chaque fois avec leur slogan: «Achetez en ligne, configurez votre Mac comme vous le souhaitez et nous vous le livrerons gratuitement».
Je les connais bien, leurs trucs publicitaires, j’ai regardé leurs vidéos tentatrices. Mais je ne sais pas résister à la tentation, je suis un geek, un «maniaque de la technologie, technophile, cyberdépendant, accroc du Net» et je ne me soigne pas! Pourtant, la dernière campagne de pub d’Apple me reste en travers de la gorge, comme un morceau de pomme. Je vous parle bien sûr de l’Apple Watch. Une montre? Vous plaisantez? L’Apple Watch ne ressemble à rien de ce que nous avons créé jusque-là. Mais nous avons voulu qu’il soit aussi simple d’interagir avec elle qu’avec votre iPhone ou votre Mac. Nous avons alors inventé de toutes nouvelles façons de sélectionner, de naviguer et de s’exprimer, parfaitement ajustées à cet appareil plus petit, porté au poignet. Vivre avec l’Apple Watch est une expérience inédite. Et profondément emblématique de l’esprit Apple. Bienvenue dans la secte à la pomme et son catéchisme pour initiés.
L’Apple Watch ne sert pas à donner l’heure, elle sert à com-mu-ni-quer: elle lit vos messages, consulte votre calendrier, écoute votre musique, recherche votre restaurant favori, vous donne la météo, calcule vos calories, «partage vos émotions avec vos proches en leur envoyant les battements de votre cœur». Bien sûr, pour acquérir cette merveille, il faudra faire chauffer votre carte de crédit: elle vous coûtera entre 399 euros pour les modèles populaires et 18 000 euros si vous voulez épater vos amis. Le prix d’une voiture ou un an de SMIC! Mais là où le marketing d’Apple touche au génie pervers, c’est que, jusqu’à aujourd’hui, personne n’avait pu essayer cette merveille connectée. On pouvait la commander par Internet ou la regarder dans les somptueuses et rares Apple Stores. Les as de la vente ont distribué quelques montres à des people et à quelques journalistes soigneusement sélectionnés. En retour, Apple a eu droit à un tsunami de commentaires dithyrambiques et quelques critiques de grincheux mal embouchés.
Un savant feuilleton, lancé en septembre dernier, que raconte le “Figaro”: «Du 10 au 24 avril, les clients pourront venir admirer la montre dans tous les points de vente, sans pouvoir l’acheter. Deux semaines de mobilisation générale avec la garantie de ne pas engranger un centime de chiffre d’affaires. L’occasion de continuer à faire parler, de créer l’envie. Les amateurs devront s’armer de patience et de leur iPhone: sans un smartphone de la marque, l’Apple Watch est inutilisable. Il faut prendre rendez-vous sur Internet avec un démonstrateur – un genius en vocabulaire Apple – pour pouvoir se passer la montre au poignet». Une stratégie de dealer: vous ne croquerez pas la pomme avant de l’avoir payée. Ce ne sont pas les ailes, mais la pomme du désir. Et dans le jardin d’Apple, le serpent du marketing tente tous les Adam et Eve du monde.
Je fais aussi partie des accros du Mac. Pour avoir eu un PC, je ne comprends pas que l’on puisse lui être infidèle. Phénomène parfaitement senti et subtilement décrit. Redoutable analyse psychologique!
Merci cher Christian,
Entre dévots de la pomme, on se comprend !