L’Amérique malade des armes


Après chaque massacre par arme à feu, l’Amérique se divise violemment entre les partisans et adversaires du contrôle des armes.

PAR MARC SCHINDLER

Le président Obama et la candidate à sa succession, Hillary Clinton, ont beau réclamer des mesures pour enrayer l’hécatombe, rien ne change. Pourquoi? Parce que la puissante National Rifles Association (NRA) et ses 5 millions de membres s’appuient sur la conviction de la majorité des Américains: le second amendement de la Constitution donne à chaque citoyen le droit de porter une arme pour se défendre.

Pour nous, cette situation est incompréhensible et intolérable. Chaque jour, 27 personnes sont tuées par armes à feu, près de 10 000 par an. Il y a 270 millions d’armes à feu aux Etats-Unis, soit 89 pour 100 habitants. Pourtant, «les Etats-Unis n’ont pas le record pour le nombre de meurtres par armes à feu: ce record appartient au Honduras, suivie par le Salvador et la Jamaïque. Le taux de meurtres aux USA est le 28ème au monde, avec 2,97 personnes tuées pour 100000 habitants». La différence, c’est que, dans aucun de ces pays, la Constitution ne donne aux citoyens le droit légal de tuer.

Le second amendement, qui consacre le droit de porter une arme, est toujours une pomme de discorde, surtout en année électorale. Depuis des décennies, les partisans et les adversaires font pression sur le Congrès. Deux fois, la question a été portée devant la Cour suprême. En juillet 2010, la cour a jugé que le droit fédéral de porter une arme s’applique aussi au niveau des Etats et au niveau local, mais cette décision ne précise pas quelle genre de contrôle s’applique au second amendement. Pratiquement, chaque Etat réaffirme dans sa Constitution le principe du second amendement, comme le Michigan: «toute personne a le droit de garder et de porter des armes pour sa défense personnelle et celle de l’Etat». Et chaque Etat fixe des règles plus ou moins laxistes pour encadrer ce droit.

Tous les efforts d’Obama pour réglementer le contrôle des armes se heurtent au puissant lobby de la NRA et de ses relais au Congrès, les politiciens dont elle finance les campagnes. Les pro-gun font feu de tout bois: ils attaquent l’ «Operation Choke Point» qui empêche notamment les marchands d’armes de recourir aux services bancaires ou ils contestent l’utilisation d’argent public pour enregistrer les ventes d’armes et la race des acheteurs. La NRA se proclame «le leader national de l’éducation et l’entraînement aux armes à feu pour les porteurs d’armes respectueux de la loi, pour les forces de l’ordre et les forces armées». En réalité, c’est le plus puissant lobby américain, qui utilise ses moyens pour s’opposer à toute mesure limitant le droit de porter et d’utiliser une arme. Selon le site opensecrets.org, il a dépensé 3,5 millions de dollars en 2014 pour le lobbying pro-gun. Avec une mauvaise foi confondante, la NRA lance ses slogans: «les fusils ne tuent pas les gens, ce sont surtout les balles». Ou «comment arrêter un sale mec armé d’un flingue? Avec un bon mec armé d’un flingue». L’association affirme sur son site que la violence des armes «n’est pas une maladie, n’est pas répandue, ne touche pas de façon égale toutes les parties de la population et qu’elle diminue …au cours des 20 dernières années, le taux de meurtres par armes a été réduit de moitié, bien qu’aucune des restrictions au contrôle des armes proposées par les chercheurs anti-gun ne soit entrée en vigueur». Des études indépendantes confirment cette baisse du nombre de morts par armes à feu, alors que plus d’un Américain est persuadé du contraire.

Il n’empêche que 8850 morts par arme à feu ont été recensés en 2012, que les massacres sont plus nombreux aux Etats-Unis que dans d’autres pays développés et que le port d’armes est inscrit dans l’ADN des Etats-Unis. Selon l’historien Romain Huret, «L’arme à feu est célébrée comme un objet culturel, des westerns aux foires et salons consacrés aux armes, organisés chaque année». Les ventes d’armes rapportent 8,5 milliards de dollars par an et font vivre plus de 10 000 personnes. La guerre la plus meurtrière pour les Américains n’a pas eu lieu en Corée ou au Vietnam, mais dans les rues des cités américaines. Presque chaque soir, les journaux télévisés des grandes villes s’ouvrent sur le décompte macabre du nombre de meurtres par armes à feu. C’est une litanie hallucinante: massacres dans les lycées, les églises, les cinémas, les supermarchés par de jeunes Américains psychopathes, pour des motifs religieux ou racistes. Les Américains découvrent avec effarement que leurs adolescents répandent la haine sur Facebook, qu’ils créent des sites glorifiant le racisme et la suprématie de la race blanche. Les policiers blancs qui abattent de jeunes Noirs sont systématiquement acquittés par les tribunaux. Mais les pro-gun dégainent leur argument: c’est parce qu’il n’y a pas assez d’armes que ces massacres ont lieu. Ils osent affirmer que si les paroissiens de l’église noire de Charleston en Caroline du Sud avaient été armés, ils auraient abattu le tireur fou. Des paroissiens armés, des mères de famille qui s’entraînent au fusil d’assaut, des jeunes gens qui reçoivent un revolver pour leur anniversaire, l’Amérique est vraiment malade des armes!

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3 commmentaires à “L’Amérique malade des armes”

  1. Oncle Phil 22 juin 2015 at 21:22 #

    Oui, d’accord, on commence à le savoir que les Américains adorent leurs guns. Qu’en est-il du fétichisme de la mitraillette en Suisse? http://www.swissinfo.ch/fre/la-suisse-et-les-armes_des-flingues-partout–et-bien-plus-qu-on-ne-croit/34878982

  2. Christian Campiche 23 juin 2015 at 13:24 #

    Bonne observation, Oncle Phil! Je me souviens de la réaction du lobby suisse des armes à l’interview d’une jeune polonaise que j’avais publiée dans le “Journal d’Yverdon”… en 1981. Elle disait que dans son pays (sous houlette communiste, à l’époque) la vente des armes n’était pas permise, ce qui limitait les crimes sanglants. Le lobby suisse des armes avait réagi sèchement dans une lettre que le journal avait dû publier.

  3. Schindler 24 juin 2015 at 11:07 #

    C’est vrai, mais en Suisse, le droit de porter une arme n’est pas inscrit dans la Constitution et la plupart des morts par armes à feu sont des suicides, sauf quelques déséquilibrés comme à Zoug. Aux Etats-Unis, ce sont des meurtres commis surtout par des psychopathes racistes, deux fois plus que par des islamistes.

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