Or donc, titrent nos médias bien complaisamment en reprenant les propos du général yankee Campbell, le bombardement des Etats-Unis contre l’hôpital de MSF à Kunduz, en Afghanistan, l’a été par erreur.
PAR PIERRE ROTTET
Vingt-deux morts, dont 12 membres du personnel de l’ONG… tués. Par erreur! Une bavure, dit-on. Somme toute des frappes censées être chirurgicales. Sur un hôpital. De qui se moque-t-on!
Lorsque des terroristes s’attaquent à des innocents sur un marché en Afrique ou ailleurs, nos médias parlent avec raison de massacre. Mais lorsque des bombes téléguidées par Washington tuent des gosses, des gens tous aussi innocents que les victimes de la folies d’extrémistes, «on» parle de «bavure». D’erreur.
Allez comprendre pour chercher les raisons de cette complaisance de nombre de nos médias. Et surtout des silences de l’Union européenne, de la France, des Hollande, Merkel et cons(sorts), qui se gardent bien de dénoncer cet acte odieux, qu’il convient pourtant de nommer «crime de guerre», comme le répète de manière isolée MSF. Et pourtant, cher Monsieur Hollande, ces victimes sont tout aussi innocentes que celles laissées en France par des mains barbares. Le silence complice d’un côté, l’instrumentalisation d’un acte tout aussi sauvage de l’autre… Cherchez l’erreur!
«Crime de guerre»? Un qualificatif qu’avait déjà évoqué le 22 octobre 2013 Amnesty International (AI). Dans un rapport alors publié, l’organisation évoquait que les massacres des drones, entre 2004 et 2013, avaient causé la mort de 2000 à 4700 personnes, victimes, civils pour la plupart. Et combien d’enfants…
AI, qui demandait que les responsables soient jugés, relevait que ces «frappes donnent au gouvernement américain un droit de tuer supérieur aux tribunaux et aux normes fondamentales du droit international».
Au moment où l’Otan retirait supposément ses troupes fin 2014, le même Campbell, commandant de ces forces militaires, qualifiait de «positif» le bilan de l’action de l’alliance dans ce pays. Une sacrée dose de cynisme! Sachant que l’insurrection des Talibans est loin de faiblir. Au contraire, puisque la situation en Afghanistan est aujourd’hui pas loin d’être pire qu’au moment de son occupation par les forces de l’Otan et de Washington. Mais qui en parle? Qui!
Pour parler des enfants, qui ont payé et continuent à payer un lourd tribut à «ce bilan positif» en Afghanistan, il n’est que de citer Patrick Howlett-Martin et son papier critique paru le 26 décembre 2014 dans «Le Monde diplomatique». Le chroniqueur ne détourne pas les yeux pour mettre sa plume là où trop souvent presse quotidienne et journalistes fonctionnaires ne tiennent pas à la tremper. Il rappelait un autre cynisme, à propos de l’Irak cette fois, celui de Madeleine Albright, alors secrétaire du gouvernement Clinton, à propos des enfants morts en Irak à cause de l’embargo américain. Lors d’une émission télévisée de la chaîne CBS diffusée le 12 mai 1996, Albright, interrogée par la journaliste Lesley Stahl sur les sanction à l’encontre de l’Irak tenues pour responsables, selon un rapport de l’Unicef, de la mort de 500’000 enfants – 1,2 millions de victimes, dont 800’000 enfants selon d’autres sources -, un nombre plus élevé qu’à Hiroshima, avait répondu que «le prix était certes élevé mais valait la peine d’être payé».
Il faut une sacrée dose de bêtise, ou pire, de fanatisme, pour oser dire pareille saloperie. Je veux oser un parallèle. Les demeurés de l’Armée de l’Etat islamique s’en prennent aujourd’hui aux trésors historiques de Palmyre, dans le désert de Syrie. Ces ignares de djihadistes considèrent qu’en abattant ces vestiges romains, ils détruisent des symboles contraires à leur pseudo foi religieuse. L’obscurantisme mène à cette déraison. Avec raison, les médias s’inquiètent et dénoncent semblables folies. Mais c’est à peine si ces mêmes médias ont consacré deux lignes à cet autre acte, à mes yeux tout aussi fou, guidé par un obscurantisme qui n’est somme toute guère différent, parce qu’il est le produit d’un puritanisme dangereux et malsain, je veux parler du floutage, par la puissante chaîne Américaine Sky – qui a soutenu les Bush lors de l’invasion de l’Irak – des seins d’un tableau de Picasso exposé à New York. Vous avez dit fanatisme, obscurantisme? A mes yeux, ce puritanisme américain n’est pas très différent de ce qui motive les idiots de Palmyre. Il conduit lui aussi à l’intolérance.
J’en arrive au dernier point de ma lettre. Il y a quelques jours, un nouveau massacre survenu sur un campus d’une université américaine. Un de plus.
Ces lignes sont en partie tirées de «Lettre à un ami», de Pierre Rottet, publié en septembre 2015. Un livre de 34 chroniques et 450 pages. Pour le commander: prottet@hotmail.fr
Vous avez raison d’insister. Les gens d’ici approuvent malheureusement l’extrémisme des Etats-Unis (dont l’idéologie et les produits s’imposent partout dans le monde). Peut-on encore infléchir cette tendance? Depuis plus de dix ans, je scrute tous mes achats et boycotte les produits qui ne sont pas régionaux, mais quand j’en parle autour de moi, on ne me comprend pas. J’ai rédigé une charte du consommateur responsable, mais même un journal de la décroissance n’a pas été intéressé à la publier. Et pourtant c’est si simple de ne pas contribuer à enrichir encore plus les grands pays qui nous gouvernent!
Merci pour votre coup de gueule salutaire!
Il est en effet édifiant de relever jour après jour la complaisance des médias officiels et apparentés face à l’incurie américaine. La déculottée chronique des dirigeant-e-s de l’UE infligée par les gnomes de Washington présage l’ampleur de l’asservissement programmé par la mise en œuvre de l’Accord de libre-échange transatlantique TTIP/TAFTA…
Si la lobotomisation des élites est incompréhensible, la manière de l’entretenir est quand à elle parfaitement visible!
Une dialectique qui consiste à adopter une posture continuelle mesurée, angélique, gentillette, tolérante, dénuée de toute fermeté quand a la défense des intérêts vitaux ( voilà déjà un adjectif suspect…) des citoyen-enne-s et des jeunes en particulier.
Quant M. Hollande en réponse à l’agression de Mme Le Pen assène : ” La souveraineté c’est le déclin… “. Que faire, hormis tout casser!
«Le prix était certes élevé mais valait la peine d’être payé».. Je me souviens du temps d’Albright. C’était la fonctionnaire… je me souviens. Qu’elle ait pu prononcer de telles paroles: étaient-ce des mots de «fonction» ? Totalement irresponsable. Devra-t-elle un jour «rendre compte»?
Qu’il doit être difficile d’être journaliste, écrivain et de se sentir responsable de ce qu’on dit.
Je vous rassure, chère Soeur Claire-Marie, il n’est pas très difficile d’être journaliste et écrivain. Surtout si ce métier se fait avec honnêteté, sans amnésie aucune. Un peu de courage pour appeler un chat un chat. J’ai ce bonheur aujourd’hui d’écrire – avec la même passion qu’auparavant. mais avec tellement plus de liberté.
Que c’est bon, votre message: le courage de son travail bien fait!