Dans une rue de Séoul, un bébé abandonné qui s’appellera Fleur…


En août 1973, un bébé de trois jours était abandonné dans une rue de Séoul.

PAR ALBERT EBASQUE

Placée en orphelinat, la petite fille est rapidement adoptée par un couple français de la région parisienne. Elle s’appellera Fleur Pellerin, effectuera un parcours scolaire d’excellence, intégrera une prestigieuse Ecole de Commerce puis l’ENA à l’âge de 24 ans… Militante, elle est quelques années plus tard nommée ministre à plusieurs reprises, notamment à la Culture. Jusqu’à ce 11 février 2016 où, non sans une certaine amertume, elle doit céder sa place à une autre jeune femme brillante mais moins connue du grand public.

Le ministère français de la Culture et de la Communication n’est pas n´importe quel ministère. Parent pauvre du budget de l’Etat avec 0,65% des crédits en 2015, il a été dominé par deux fortes personnalités au cours de la Vème République: André Malraux et Jack Lang. Le premier, brillant intellectuel et gaulliste inconditionnel, marqua son époque par la création des Maisons de la Culture, établissements sous tutelle de l’Etat implantés dans une trentaine de grandes villes. Le second, astre luisant et vibrionnant de la galaxie mitterrandienne, a fortement laissé son empreinte et reste dans l’imaginaire collectif un éternel «ministre de la Culture bis». Et il ne doit pas être facile d’échapper à son influence quand on occupe ce poste, même plusieurs années après son départ de la rue de Valois.

Mais au-delà de cette personnalité quasi incontournable, ce qui fait la particularité de ce ministère est le fait que le monde artistique, notamment parisien, est à la fois insaisissable, hétérogène et influent. C’est donc un monde qu’il ne faut pas prendre à rebrousse-poil, ce que Jack Lang savait faire avec talent… et explique sa longévité à ce poste. Prenons l’exemple d’une exception française: les intermittents du spectacle et leur régime d’assurance-chômage. Cela fait des années que le dossier ne satisfait personne mais aucune issue ne pointe à l’horizon. Les déficits persistent, les ministres se succèdent, les discussions se poursuivent mais il y a fort à parier qu’aucun accord équilibré ne sera signé avant la fin de ce quinquennat.

En outre, le monde artistique se caractérise par une certaine consanguinité avec celui de la presse en général. Et les journalistes sont parfois cruels. Quelle horreur! Rendez-vous compte: la ministre de la Culture n’a pas lu le dernier Goncourt! Elle n’a pas vu la dernière représentation à l’Opéra de Paris! Elle ne connaît pas le titre du dernier film en vogue à Cannes… Il est facile de se faire piéger par un Mozart du micro ou de la caméra, ce qui fut le cas. On préfère donc insister sur ce qu’elle n’a pas fait plutôt que sur ce qu’elle a fait…

J’ignore si Fleur Pellerin a ouvert des dossiers sensibles comme, par exemple, celui des intermittents lors de son bref passage rue de Valois. Mais je ne serais pas étonné qu’elle ait dû prendre – ou envisagé de prendre – des décisions qui n’ont pas plu au milieu artistique. Il a ensuite suffi de quelques échanges entre personnes influentes et le tour est joué: la jeune ministre devra quitter son poste au prochain remaniement gouvernemental.

La France est un beau pays où une enfant trouvée dans une rue peut devenir ministre. C’est aussi un pays de pièges et de chausse-trappes pour ceux qui veulent réformer. Ainsi, de misérables faux-pas médiatiques suffisent-ils à condamner une brillante jeune femme tandis que le «culturellement correct» impose sa loi d’airain sous tous les régimes. Mais, n’en doutons pas, on entendra encore parler de cette jolie Fleur trouvée dans une rue de Séoul un soir d’été.

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Un commentaire à “Dans une rue de Séoul, un bébé abandonné qui s’appellera Fleur…”

  1. Philippe Junod 20 avril 2016 at 07:14 #

    En réponse à cet article à l’eau de rose:

    http://www.latribunedelart.com/moins-que-rien

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