Un monde sans armes…

Parfois, comme certains de mes contemporains, je me dis que la misère du monde serait beaucoup moins insupportable si l’on mettait fin au commerce des armes et des munitions.

PAR ALBERT EBASQUE

Dans cette nouvelle société, il n’y aurait plus de conflits, les hommes seraient doux comme des agneaux et le ciel serait toujours bleu. C’est beau comme du Verlaine. Sauf que la nature humaine est ainsi faite que l’on peut parfaitement occire son prochain en l’égorgeant de ses propres mains… c’est-à-dire sans aucune arme. De même un couteau peut-il avoir plusieurs usages, les deux principaux étant soit de couper son pain, soit de le planter dans le ventre de son voisin. Autre exemple avec les allumettes que l’on trouve en vente libre chez tous les buralistes: soit je m’en sers pour allumer un barbecue entre amis, soit je décide de mettre le feu à des hectares de forêts ou bien à un bâton de dynamite pour faire un carnage.

Le point-clef, ce n’est donc pas l’outil ou l’arme comme prolongement du corps humain mais ce qui se passe dans le cerveau. Ainsi, l’expression «folie meurtrière» est-elle parfaitement adaptée à ce type de comportement. Pour ma part, je persiste à penser qu’il faut avoir recours à la psychiatrie et à la psychanalyse pour essayer d’identifier les signes avant-coureurs du passage à l’acte. Alors, certes, beaucoup de ces meurtriers ont souffert soit d’un manque d’intégration, soit de contraintes religieuses favorisant un refoulement freudien, soit encore de frustrations dans leur vie sociale. Mais dans son dernier ouvrage édité au Seuil «Un furieux désir de sacrifice» sous-titré «Le surmusulman», le psychanalyste franco-tunisien Fethi Benslama explique que «ce qu’on appelle aujourd’hui «radicalisation» requiert des approches complémentaires en tant qu’expression d’un fait religieux devenu menaçant et en même temps comme un symptôme social psychique».

Nous sommes en effet confrontés en Europe à cette folie meurtrière de la part de jeunes directement ou indirectement issus de l’immigration, c’est-à-dire nés en France de parents immigrés. Il peut donc y avoir un sentiment d’exclusion à l’origine de leurs gestes fous. Mais sont-ils les seuls? Aux Etats-Unis, la plupart des grandes tueries de ces dernières années dans des universités ou dans des crèches étaient le fait d’individus n’ayant strictement aucun lien avec l’Islam ou le Proche-Orient. Il s’agissait de jeunes gens biens sous tous rapports mais socialement isolés, à la personnalité fragile et finalement assez proches de la psychopathie.

Dernier exemple: le co-pilote de GermanWings qui entraîna tous les passagers de son avion dans la mort aurait dû faire l’objet d’une plus grande attention de la part des psychiatres… Pas d’arme entre ses mains, mais la folie suicidaire de ce sociopathe lui ôtait tout discernement à l’égard de la centaine d´innocents qu´il transportait. Identifier les signes avant-coureurs de ce basculement psychique dans le désespoir mortifère reste donc au cœur du problème.

Certes, on peut toujours rêver d´un monde sans armes et sans munitions; on peut aussi avoir comme devise le «Peace and Love» de la fin des années soixante… mais cela ne nous permettra pas de démonter le mécanisme de cette complexité universelle qui fait que «l’homme est un loup pour l´homme» ainsi que le disaient les Anciens. La vente libre des armes comme aux Etats-Unis étant une aberration absolue, aucune solution miracle ne pointe à l´horizon. Mais il est certain que le lien social est fondamental car il permet de rompre un isolement pouvant conduite au passage à l’acte. Il est d’ailleurs paradoxal de voir que beaucoup de ces meurtriers surfaient des heures sur internet et les réseaux sociaux… tout en restant apparemment isolés au plan affectif.

Nos sociétés se sont déshumanisées et il est donc fondamental de recréer ce lien de personne à personne que les techniques modernes ont en quelque sorte dématérialisé ou déconstruit. Un monde sans armes? Soit. Mais alors aussi un monde sans drogues, sans couteaux de cuisine, sans avions, sans trains, sans camions, car tous peuvent servir à tuer s´ils sont entre les mains de fous furieux ou de psychopathes. L´homme des cavernes n’avait d´ailleurs pas besoin de tout cela pour massacrer ses ennemis: un bon gourdin en bois de hêtre lui suffisait. Surprenant, non?

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3 commmentaires à “Un monde sans armes…”

  1. Yasmine Motarjemi 26 juillet 2016 at 09:48 #

    « Think globally, Act locally »

    Quand on enquête un meurtre, en principe, on cherche trois types de preuve: l’opportunité, le moyen et la motivation.

    i) Avec la population grandissante et les événements de masse, l’opportunité de tuerie en masse augmente.

    ii) Les moyens sont tellement multiples que ce serait utopique de penser qu’on pourrait les éliminer. Certes, on doit interdire les armes pour rendre l’accès plus difficile mais comme dans le cas du camion à Nice les vrais terroristes de masse inventeront d’ autres moyens.

    iii) Ce qui nous reste est la motivation. Il faut chercher le pourquoi et contrecarrer la motivation et l’impulsion de tuer.

    A mon avis, un des facteurs de ces impulsions de tuer est le comportement de nos dirigeants et ce laxisme dans l’ordre public et la justice morale ou légale, qu’on voit de plus en plus. En d’ autres mots, l’ injustice sociale, que ce soit au niveau local, national ou international.

    Que pensez-vous de ce qui se passe dans la tête d’un jeune homme qui est harcelé à l’école et que les précepteurs n’interviennent pas. Ou dans la tête d’une personne qui est harcelée au travail et les employeurs et/ou les autorités laissent faire? On a vu ce qui s’est passé pour l’adolescent de 13 ans, Matteo, qui s’est donné la mort en Haute-Savoie en France en 2013, ou les employés de France Télécom dans les années 2007-2009. Ces deux cas, cités comme exemple, ne sont que des signes avant-coureurs d’un grand malaise social qu’on a trop longtemps ignoré. Apparemment, à croire les médias, à Munich, l’adolescent en question s’est donné la mort en se vengeant des personnes qu’il a perçues comme responsable de sa misère et son harcèlement (voir les options des victimes dans l’ article « L’ importance de la Justice» dans le journal L’Essor. Avril 2016. http://www.journal-lessor.ch/article.php?a=2016&n=2&art=57)

    Evidemment, les réfugies, déjà fragilisés par les guerres et rejetés dans la société occidentale sont plus vulnérables à cette injustice sociale et sont plus susceptibles à devenir des instruments de terrorisme. Les mauvaises décisions des dirigeants, ou leurs négligences pour faire respecter l’ ordre public, créent des failles latentes dans la société. Les conséquences apparaissent des années plus tard. Dans le cas du terrorisme islamique, nous subissions les conséquences des mensonges et des mauvaises décisions de George Bush et Tony Blair. Leurs décisions ont, en cascade, eu un effet négatif sur notre vie quotidienne. Ils ont inventé la version meurtrière de l’ expression: « Think globally, Act locally » Bravo Messieurs.

  2. Bernard Walter 27 juillet 2016 at 17:16 #

    Ce que je trouve surtout surprenant, c’est ce plaisir à prôner un monde fonctionnant sur le surarmement en laissant entendre qu’un camion ou un couteau pour couper son pain est de même nature que des mitrailleuses, des drones ou des bombes atomiques. C’est une pensée navrante.
    Et de surcroît, à croire que l'”homme des cavernes”, cliché assez sommaire parce que les origines de l’homme remontent à infiniment plus loin dans le temps, que cet “homme des cavernes” passait son temps à écraser la tête de son voisin avec un gourdin.

  3. michelle 27 juillet 2016 at 19:46 #

    L’assassinat du père Hamel prête aussi à réflexion. Je regrette qu’il ait fallu le sacrifice de cet homme, sans oublier celui qui a été grièvement blessé et ceux qui se sont trouvés devant cette scène. Pour eux, cela a dû être horrible…

    Ci-dessous, cet article paru dans “La Vie“.

    Ce qui y est écrit correspond aux valeurs qui m’ont été transmises par ma famille, je ne sais pas si j’aurais toujours le courage d’assumer, mais ce sont des personnes courageuses de cette trempe qui me font avancer, même si je trébuche, à la lumière des valeurs de l’Evangile.

    En mémoire du père Hamel, témoin de la foi

    À Saint-Étienne-du-Rouvray, comme partout dans le monde, le bien ne fait pas de bruit. Peu d’entre nous auraient eu l’occasion d’entendre parler du père Jacques Hamel, s’il n’avait été égorgé alors qu’il célébrait la plus humble des messes, celle d’un mardi matin du temps ordinaire, dans une paroisse sans histoire.

    Ce prêtre né en 1930 avait depuis longtemps dépassé l’âge de la retraite, mais il tenait bon, vaille que vaille. Sur une photo comme on en trouve sur le site de tant de paroisses, tellement banale et soudain tellement emblématique, on le voit allumer encore une fois le cierge pascal, symbole de la victoire de la vie sur la mort. Avec une poignée de paroissiens assaillis avec lui – dont, à l’heure où j’écris, une personne grièvement blessée – le père Hamel incarne un peu ce christianisme des modestes. Une Église qui n’a pas lâché les milieux populaires. Une Église dont on ne parle jamais, mais vers laquelle beaucoup de Français savent pouvoir se tourner un jour, pour une naissance, un deuil, une écoute. Une Église qui, en effet, ne fait pas de bruit, qui ne revendique rien, qui ne donne aucune leçon, mais qui reste là. Fidèle. Évangélique.

    Cette Église parle de paix et d’amour dans un monde que hantent les marchands de mort. Serait-elle bébête, nunuche ou, selon le mot à la mode, « bisounours » ? Beaucoup, y compris parmi les chrétiens, voudraient que l’on crie vengeance. Tentation bien compréhensible, presque instinctive. De plus en plus souvent accusée de naïveté dans sa relation avec l’islam, voire d’aveuglement sur les causes du mal, l’institution catholique devra trouver les mots pour répondre. À Saint-Étienne-du-Rouvray, le modèle d’un christianisme du « vivre ensemble » est atteint, celui qui croit en la fraternité de tous les croyants et qui cherche à préserver le lien social dans des quartiers souvent délaissés par la puissance publique. Le gouvernement devra répondre de questions plus concrètes encore, et malheureusement légitimes. Il devient politiquement difficile de prétendre que l’on a tout fait et que l’on a tout essayé. Pourquoi, par exemple, l’un des deux assassins était-il en liberté conditionnelle quoique fiché « S » ?

    Mais il faut lutter sans haine, et c’est toute la différence. Le projet de Daech est de nous placer sous son emprise mentale et de susciter la guerre de tous contre tous, dont une nouvelle guerre des religions. Face à la barbarie d’inspiration djihadiste, la tentation de la violence mimétique affleure. Y résister, ce n’est pas être faible. C’est… résister, justement. Ne rien lâcher, y compris et surtout de nos valeurs, voilà le devoir de tout Français et le travail de tout chrétien. « Nous prêchons un messie crucifié » et c’est notre folie au yeux du monde, disait saint Paul. « Dieu ne partage pas notre haine » : j’ai retrouvé cette phrase de Desmond Tutu, l’évêque anglican qui lutta contre l’apartheid. De tout temps, de tout époque, jamais le fondement du christianisme n’a changé. « Ces ennemis aussi, nous devons les aimer », écrivait le pasteur alsacien Charles-Eugène Weiss, le 29 novembre 1943. Enrôlé de force par les nazis, Weiss fut tué peu après, à 21 ans, sur le front russe.

    Pour finir, on pense évidemment aux frères de Tibhirine et au succès du film Des hommes et des dieux. La fertilité des témoins de la foi est aussi mystérieuse qu’admirable. De la mort du père Hamel, tué alors qu’il faisait mémoire de la mort et de la résurrection du Christ, surgit la vie et, peut-être, une force nouvelle d’évangélisation. Son martyre, car c’en est un vrai, offre une prédication d’une totale limpidité : face au djihadisme, le devoir des chrétiens est de demeurer chrétiens, sans se tromper sur le sens de la foi. Même déchristianisée, même désorientée, même apeurée, la société française attend cela de nous. De nous, elle n’attend même que cela.

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