Pedro Almodovar dézingue Netflix – plate-forme qui produit des films pour internet – et flatte la magie hypnotique du grand écran. Je me demande la dernière fois que notre réalisateur et président du jury à Cannes s’est rendu dans une salle de cinéma avec un vrai public…
PAR JOËL CERUTTI
De Godard à Almodovar, les réalisateurs louent la nécessité, la vénération, l’effet du grand écran. Que de mââââgie lorsque le rideau rouge s’ouvre et que la projection bénéficie de vastes mètres carrés pour exister. Eux – et eux seuls — offrent du volume respectueux aux œuvres projetées. De Godard à Almodovar, ces créateurs sont-ils en phase avec ce qui se passe dans une salle ? Là, maintenant, en 2017 ! Se posent-ils la question de base, celle qui me turlupine depuis quelques années : les personnes qui se rendent au cinéma vont-elles pour y voir un film ? « Bien sûr, couillon, elles n’ont pas pris une entrée pour aller faire du poney en piscine ! » J’adore ta franchise, je me permets néanmoins d’insister… Même dans les plus agréables salles de village, avant de poser ses fesses dans un fauteuil, le spectateur lambda se pointe avec sa ration de pop-corn. Pour peu que tu sièges à côté d’un affamé qui donne de la compagnie à son ver solitaire, tu entendras de la mastication durant deux heures et quelques. Moins la bande sonore du film. Tu espères que cela disparaisse ? Que l’on revienne aux séances ascétiques d’antan ? Tu veux que je te dise ? Tu rêves vraiment ! L’exploitant de salle se paie une marge sur le pop-corn bien plus grande que sur celle des billets. La machine arrière tient du fantasme de cinéphile.
Je reviens au boulimique qui partage ta séance et bâfre à grands bruits de mandibules. Sois heureux qu’il se contente de cette seule opération. Il lui reste un joker : envoyer des SMS, consulter ses messages durant les temps morts de l’intrigue. Il t’expédie une lumière latérale dans les rétines qui parasite ta vision du film. Certains oublient de mettre leurs cons de « smart »phones sur silencieux – un classique ! – malgré les diplomatiques avertissements en début de séance. Il te reste à subir les rires crétins des ados en perpétuelle période de rut, les senteurs pas toujours agréables des voisines et voisins, les coups envoyés par la rangée arrière sur ton dossier, l’initiée qui a déjà vu le film et l’explique à sa copine, celui qui achève sa boisson gazeuse sur un gros rot en broyant le PET sans discrétion…
Tu rajoutes tes propres déconvenues à cette liste et tu reprends les envolées lyriques de Godard à Almodovar. Ce dernier s’est ému que la société Netflix – qui produit des œuvres dédiées aux « petits » écrans – puisse gagner une Palme d’or à Cannes. Notre Ibérique a loué l’effet « hypnotique » des séances en vraies salles face à la déferlante des supports numériques. Hypnotique… Ton ordi, ton iPhone, tes DVD possèdent cette faculté. Lorsque tu les regardes, chez toi, dans les transports en commun, tu es braqué sur eux et rien qu’eux. Lors d’une toile à 19 balles dans un complexe multisalles, l’hypnose s’effiloche. Inutile de te demander pourquoi…
Très bon article ! A chaque générations ses inventions et problèmes cependant les jeunes d’aujourd’hui et c’est regrettable n’auront pas de souvenirs malgré tout encore rafraichissants comme vite enfourcher son vélo pour porter les commis préparées par l’épicier afin de gagner de quoi se payer une séance de cinéma
Et pouvoir bécoter le petit copain ou la petite copine loin des yeux des parents
Tout ce qui est souvenir est une richesse utile pour franchir les épreuves de la vie n’épargnant personne
Les souvenirs du passé empreints de notre ressenti ne peuvent ressurgir de la mémoire humaine sur un simple clic Il faut les avoir vécu soi même