Tariq Ramadan, si discret ambassadeur du Qatar


Alors que quatre pays, dont l’Arabie saoudite, ont décrété un embargo sur le Qatar, l’islamologue ne monte pas au créneau pour défendre son pays d’accueil universitaire. En revanche, le CILE, son centre de recherche, s’active en Côte d’Ivoire cette semaine.

PAR IAN HAMEL, de retour du Qatar           

Les 24 et 25 juillet dernier, Doha invitait plus de 200 journalistes et responsables d’ONG pour venir à la rescousse d’Al-Jazeera (La Méduse du 10 août 2017). Cette manifestation comptait un grand absent, Tariq Ramadan. L’islamologue suisse doit pourtant toute sa carrière universitaire à l’émirat. Sa chaire d’enseignement à Oxford de sciences islamiques contemporaines, « his highness Sheikh Hamad bin Khalifa al-Thani » (du nom du père de l’actuel souverain), est financée par le Qatar. C’est en grande partie grâce au prédicateur vedette d’Al-Jazeera, Youssef Qaradawi, que l’islamologue doit sa nomination comme professeur. Le site Mediapart a révélé, dans une enquête très fouillée, que son poste consistait surtout « à donner des cours à la faculté des sciences islamiques de Doha ». Il y passerait deux semaines par mois. Tariq Ramadan ne le conteste pas, mais il assure qu’il ne reçoit « aucune rémunération » de la part du Qatar. « Mon enseignement au Qatar fait partie de mon contrat avec l’université d’Oxford et mon salaire est celui d’un professeur enseignant à Oxford à temps plein », déclare-t-il dans Libération du 27 avril 2013.

Youssef Qaradawi, père spirituel

Ce n’est pas sa seule occupation dans le petit émirat gazier. Il est également directeur du Centre de recherche sur la législation islamique et l’éthique (CILE), inauguré officiellement en janvier 2012 à Doha. « Son rôle est d’encourager la recherche et réfléchir sur la relation entre les sources scripturaires de l’islam et l’éthique islamique sur les problèmes contemporains », écrit-il sur le site du CILE. A cette époque, sur les photos, le petit-fils d’Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans égyptiens, apparaissait en compagnie de la Cheikha Mozah bint Nasser al-Misnad, la seconde épouse de l’émir, à l’origine de la création de ce Centre de recherche, et de Youssef Qaradawi, fondateur de la première université des études et sciences islamiques au Qatar en 1977. Le mufti officieux du régime est par ailleurs président de l’Union internationale des savants musulmans, organisation qui accueille en son sein Tariq Ramadan. Lors de notre précédent déplacement au Qatar, en 2006, nous avions pu assez facilement rencontrer Youssef Qaradawi. Il nous avait même dédicacé son livre le plus fameux, « Le licite et l’illicite en islam ». Mais depuis l’arrivée au pouvoir de Tamim bin Hamad al Thani en 2013, le prédicateur a été écarté d’Al-Jazeera, où il animait l’émission vedette « La charia et la vie ».

Youssef Qaradawi est l’une des personnalités les plus connues du monde musulman (photo Hamel)

Ultra conservateur mais ouvert sur le monde  

Une mise à la retraite en raison de son âge (il aura 91 ans en septembre prochain), mais aussi de ses déclarations sulfureuses. En 2009, il avait déclaré que le « châtiment administré par Hitler » aux juifs était « un châtiment divin », ajoutant, « Si Allah veut, la prochaine fois, ce sera par la main des croyants ». Youssef Qaradawi, qui justifiait les attentats-suicides, affirmait bien haut qu’il fallait tuer tous les Alaouites, ce groupe religieux musulman, au pouvoir à Damas. Aujourd’hui au Qatar, on ne souhaite plus vraiment le faire sortir de son placard. Sans toutefois vouloir le dénigrer totalement. « Ses propos ont souvent été sortis de leur contexte », nous a-t-on répondu à plusieurs reprises. Dans un texte intitulé « Le Qatar et l’islam de France : vers une nouvelle idylle ? », le politologue Haoues Seniguer tente d’expliquer comment Tariq Ramadan a pu séduire les Qataris. D’une part, grâce à sa maîtrise parfaite du français et de l’anglais et à ses connaissances en théologie islamique. De l’autre, en raison de sa filiation avec le fondateur des Frères musulmans. En clair, l’auteur de l’ouvrage « Islam, la réforme radicale, éthique et libération » possède un fort « capital symbolique » auprès des figures théologiques majeures, comme Qaradawi, « qui vénèrent Hassan al-Banna » (1). A la fois ultra conservateur au plan dogmatique, mais ouvert sur le monde, le Suisse Tariq Ramadan apparaît comme un relais diplomatico-religieux idéal pour le régime qatari.

Une université d’été à Abidjan  

Du moins en théorie. Le problème, c’est que Tariq Ramadan reste un électron libre, difficilement contrôlable. Il lui est arrivé de s’afficher avec des trotskystes, affirmant s’inscrire dans la famille idéologique des théologiens de la libération d’Amérique du Sud. Avant de vendre son âme à un émirat ultra libéral économiquement et notoirement corrompu. Alors qu’il est d’origine égyptienne, Tariq Ramadan n’a pas mis les pieds un seul jour au Caire durant le Printemps arabe. Dans ses conférences, il se justifiait en expliquant que c’était sa fille aînée qui était aux premières loges pour suivre cette révolution… En juin 2016, à l’antenne de Jean-Jacques Bourdin sur RMC, le directeur du CILE, financé par l’émirat, jurait que « Ni le Qatar n’est proche de moi, ni moi je ne suis proche du Qatar ». Dans Libération, Tariq Ramadan assurait même qu’il dénonçait régulièrement la situation des travailleurs immigrés à Doha… sans toutefois préciser dans quels médias. Depuis deux mois, l’islamologue est aux abonnés absents. Il ne s’est jamais manifesté pour défendre cet émirat encerclé par des voisins menaçants.      

Malgré tout, l’islamologue suisse ne reste pas pour autant inactif. Le Centre de recherche sur la législation islamique et l’éthique (CILE), qu’il anime, organise du 11 au 16 août une université d’été à Abidjan en Côte d’Ivoire. Elle va accueillir une cinquantaine de personnes. Le thème ? « L’islam face aux défis contemporains – Comment rester fidèle à la Voie ». Tout un programme.

« Qatar : jusqu’où ? », L’Harmattan.

L’auteur est journaliste et écrivain. Il a publié en 2007 le livre “La vérité sur Tariq Ramadan”, Favre.

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2 commmentaires à “Tariq Ramadan, si discret ambassadeur du Qatar”

  1. Magnin Eric 12 août 2017 at 18:21 #

    Un texte intéressant de Riss, un des rescapés de Charlie Hebdo 12 morts abattu à l’arme de guerre dans la rédaction du journal et 8 blessés, texte proposé après les attentats de Bruxelles…il est question de cet individu….tout est dit…! “…Ramadan Tariq après Bruxelles
    .
    Qu’est-ce que je fous là ? Charlie Hebdo l’édito de Riss 30 mars 2014 après les attentats de Bruxelles.
    .
    Depuis une semaine, les spécialistes essaient de comprendre les raisons des attentats de Bruxelles. Une police défaillante ? Un communautarisme débridé ? Une jeunesse au chômage ? Un islamisme décomplexé ? Les causes sont nombreuses et chacun choisit celle qui l’arrange selon ses convictions. Les partisans de l’ordre dénoncent l’inefficacité de la police, les xénophobes accusent l’immigration, les sociologues rappellent les méfaits de la colonisation, les urbanistes fustigent les ghettos, les économistes désignent la crise et les homme politiques menacent Daech. A vous de choisir.
    En réalité les attentats sont la partie émergée d’un gros iceberg. Ils sont la dernière phase d’un processus enclenché depuis longtemps et à grande échelle. On nous colle le nez sur les gravats de l’aéroport de Bruxelles, sur les bougies à fondue allumées devant des bouquets de fleurs sur les trottoirs. Pendant ce temps-là, personne ne regarde ce qui se passe à Saint-Germain-en-Laye. La semaine dernière, l’institut de Sciences-PO de cette ville recevait Triq Ramadan. C’est un professeur, il y a don sa place. Il vient parler de son sujet d’étude, l’Islam qui est aussi sa foi. Un peu comme si un professeur d’allemand était fabricant de saucisses de Francfort. Juge et partie. Qu’importe, Tariq Ramadan ne fait rien de mal, et ne fera jamais rien de mal. Il parle de l’Islam, de l’Islam et encore de l’Islam. Il se présente comme un homme de dialogue, ouvert au débat. Au débat sur la laïcité, qui devrait selon lui s’adapter à la nouvelle place des religions, aux démocraties occidentales, qui devraient aussi accepter toutes les traditions importées par le populations issues de l’immigration. Rien de très grave dans tout ça. Car Tariq Ramadan ne prendra jamais une kalachnikow pour tirer sur des journalistes dans leur salle de rédaction et ne confectionnera jamais de bombes destinées à des halls d’aéroport. D’autres le feront à sa place. Ce n’est pas son rôle. Le sien, sous prétexte de débattre, est de dissuader ses interlocuteurs de critiquer sa religion. Les étudiants en sciences politiques qu’il a devant lui, quand ils seront devenus journalistes ou élus locaux conserveront ce petit malaise que Tariq Ramadan leur avait distillé ce jour là. Ils n’oseront plus écrire ou dire quoi que ce soit de négatif sur l’Islam, trop peureux d’être taxés d’islamophobie. Le rôle de Tariq Ramadan s’arrête ici. D’autres prennent alors le relais.
    La femme voilée est admirable. Elle est courageuse, dévouée à ses enfants et à sa famille. Pourquoi l’embêter, elle qui ne fait de mal à personne ? Même celles qui portent le voile intégral n’utiliseront jamais leurs vêtements pour cacher une bombe, comme certains le pensaient quand une loi fut votée pour en interdire l’usage sur la voie publique. Elles non plus ne feront jamais rien de mal. Alors pourquoi critiquer encore le port du voile et heurter ces femmes dignes en les montrant du doigt ? Taisons-nous, regardons ailleurs, fuyons les polémiques et les esclandres de rue. Leur rôle, même si elles ne se rendent pas compte qu’elles en jouent un, ne va pas au-delà.
    Le boulanger qui a remplacé le précédent, parti à la retraite, fait de bons croissants. Il est aimable et a toujours un sourire pour le client. Il est parfaitement intégré au quartier, sa longue barbe et son petit cal sur le front qui indiquent sa grande piété ne gênent pas sa clientèle, qui apprécie aussi ses sandwichs à midi. Ceux qu’il propose sont très bons, même s’il n’y en a désormais plus aucun au jambon de pays ou aux rillettes. Ce n’est pas grave, il y en a d’autres au poulet ou au thon qui feront aussi bien l’affaire. Alors, ne râlons pas et évitons d’inutiles polémiques dans sa boulangerie appréciée de tous.
    On s’y fera. Comme le prêche Tariq Ramadan, on s’adaptera. Le rôle de ce boulanger travailleur est ainsi rempli.
    Ce jeune délinquant, qui n’a jamais ouvert un Coran de sa vie, ne connaît rien de l’histoire des religions, de la colonisation, ni à celle du pays de ses ancêtres d’Afrique du Nord, vient de commander un taxi avec deux autres copains. Ils ne sont pas érudits comme Tariq Ramadan, ne prient pas aussi souvent que notre boulanger et ne respectent pas les préceptes de l’Islam autant que la courageuse mère de famille avec son voile. Direction l’aéroport de Bruxelles. A cet instant, personne n’a encore fait de mal. Ni Tariq Ramadan, ni la femme voilée, ni le boulanger, ni ces jeunes désoeuvrés. Pourtant, tout ce qui va arriver ensuite à l’aéroport et dans le métro de Bruxelles ne pourra avoir lieu sans le concours de tous. Car tous inspirent la crainte et la peur. La peur de contredire, la peur de polémiquer, la peur de se faire traiter d’islamophobe et même de raciste. La peur tout simplement. Ce qui va se passer dans quelques minutes est l’étape ultime de la peur : la terreur. Le terrorisme. Il n’y a pas de terrorisme possible sans l’établissement préalable d’une peur silencieuse généralisée
    Ces jeunes terroristes n’ont pas besoin de cumuler les qualités des autres, d’être érudits ou travailleurs. Leur rôle est uniquement de conclure ce qui a été commencé et consiste à nous dire : « Taisez-vous pour toujours, vivants ou morts ! Arrêtez de discuter, d’argumenter, de contredire ou de contester. » Et surtout plus personne ne doit oser réfléchir en se posant ces questions : « Qu’est-ce que je fous là ? » « Qu’est-ce que je fous là à me trimbaler toute la journée avec un voile sur la tête ? » « Qu’est-ce que je fous là à faire cinq prières par jour ? » « Qu’est-ce que je fous là dans un taxi avec trois sacs de voyage remplis de bombes ? » Les seuls à se poser cette question sont malheureusement les victimes. « Qu’est-ce que je foutais là, à trois mètres de cette bombe ? » La première mission des coupables, c’est de culpabiliser les innocents. C’est d’inverser les culpabilités, Depuis la boulangerie qui vous interdit de manger ce que vous aimez jusqu’à cette femme qui vous interdit de lui dire que vous la préférez sans voile, on se sent coupable d’avoir ces pensées. Dès cet instant, le terrorisme commence son travail de sape. La voie est alors tracée pour tout ce qui arrivera ensuite….”

  2. Ian Hamel 13 août 2017 at 11:21 #

    Excellent texte. Quand un assassin a tué sept personnes innocentes à Toulouse, notamment des militaires et des enfants, Tariq Ramadan a alors écrit sur son blog que cet assassin était, en fait, un grave garçon, souriant et très sympathique, et que toute la faute de son crime devait retomber sur l’Occident qui n’avait pas donné sa chance à cet assassin…

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