Le showbiz malade du sexe


Le “New York Times” vient de lancer un sacré pavé dans la mare : il a révélé que le magnat du cinéma d’Hollywood Harvey Weinstein était un prédateur sexuel.

PAR MARC SCHINDLER

Depuis des décennies, l’un des producteurs les plus puissants du cinéma abusait de jeunes starlettes dans des suites d’hôtels où il les attirait pour lancer leur carrière. Selon le “New York Times”, Weinstein a payé des centaines de milliers de dollars pour étouffer les plaintes de ses victimes.

Weinstein, ce nom ne vous dit rien ? C’est le producteur de plusieurs des plus grands films américains – Pulp Fiction, Le discours du roi, Shakespeare in Love. C’est lui aussi qui a lancé une campagne de promotion du film français The Artist, qui lui a valu cinq Oscars en 2012. Depuis trente ans, Weinstein était le « faiseur de pluie », celui qui avait le pouvoir de lancer des carrières dans le showbiz en produisant des films à succès au box office, qui lui ont rapporté des Oscars et qui ont fait gagner des fortunes à ses acteurs, ses réalisateurs et ses scénaristes. Ses stars étaient en Une des magazines et les invités des émissions populaires de TV. Il était devenu un producteur respecté. Il avait même été nommé honorary Commander of the British Empire ! Il avait aussi été un fervent supporteur et un important donateur pour la campagne d’Hillary Clinton.

Depuis des années, la rumeur courait à Hollywood sur les frasques sexuelles du magnat du cinéma. Mais aucun journaliste n’avait pu ou n’avait voulu publier une enquête sérieuse sur Harvey Weinstein. Pourquoi ? Parce que beaucoup de gens dans le showbiz avaient trop à gagner avec lui. Pas seulement les réalisateurs, les acteurs, les scénaristes de ses films. Mais aussi les chroniqueurs, les critiques de cinéma et tous ceux qui gagnaient leur vie grâce à Weinstein comme consultants. Toutes les enquêtes s’étaient cassé le nez sur le mur du silence et de la peur. A la dernière minute, les sources d’information faisaient faux bond. Comme l’écrit la journaliste Kim Masters dans The Hollywood Reporter : « L’industrie (le showbiz) se prend de passion pour des causes, mais quand il s’agit de faire des affaires, elle est irrémédiablement capable de se pincer le nez ». Il a fallu le témoignage d’une des victimes de Weinstein pour que le scandale éclate.

Des interviews d’anciens employés, des emails et des documents internes ont confirmé les accusations de harcèlement sexuel et les règlements financiers avec les victimes. Les excuses de Harvey Weinstein n’ont rien arrangé : « Je comprends que mon comportement passé avec des collègues a causé beaucoup de douleur et je m’en excuse sincèrement ». Le producteur a dû prendre un congé de longue durée pour suivre un traitement. Plusieurs membres de son conseil d’administration ont démissionné, ainsi que son avocate. C’est la fin de la carrière de celui qui se présentait comme «un lion progressiste, un champion des femmes et le vainqueur de récompenses non seulement artistiques, mais aussi humanitaires », selon la formule du “New York Times”.

Bien sûr, Hollywood n’a jamais passé pour un modèle de vertu. Mais le showbiz a toujours voulu donner l’image d’une institution respectable avec ses cérémonies des Oscars en robes longues et smokings. En réalité, l’industrie du cinéma et des medias est malade du sexe. Elle a une longue tradition de harcèlement de femmes par des producteurs tout-puissants. Aux Etats-Unis, le célèbre comédien Bill Cosby a été accusé de viol, l’animateur de télévision républicain Bill O’Reilly a été licencié après plusieurs scandales sexuels. En Grande-Bretagne, l’ancien animateur vedette Jimmy Savile a été accusé d’agressions sexuelles contre des enfants, qui ont été ignorées pendant des années par la BBC.

A chaque fois, c’est la même conspiration du silence pendant des années avant que les victimes prennent le risque de témoigner. A chaque fois, les hommes de pouvoir qui abusent des femmes paient pour étouffer les plaintes de leurs victimes. A chaque fois, ils commencent par nier et par attaquer les medias avec leurs avocats avant de reconnaître leurs fautes. C’est vrai que, aux Etats-Unis, le showbiz n’a pas de leçon de morale à recevoir quand l’ancien président Bill Clinton a failli démissionner après un scandale sexuel, quand le président Donald Trump est lui-même soupçonné de harcèlement sexuel!

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2 commmentaires à “Le showbiz malade du sexe”

  1. Bernard Walter 10 octobre 2017 at 08:32 #

    Merci de cette excellente revue très éclairante.
    On pourrait aussi parler d’un certain Polanski…

  2. Avatar photo
    Laurette 10 octobre 2017 at 14:32 #

    Pour moi, rien de nouveau sous le soleil de la “promotion canapé”…

    Chapeau aux victimes qui trouvent le courage de dénoncer. Il leur faut d’abord passer le seuil de la honte et de la (fausse) culpabilité, puis faire tout un travail pour (re)trouver la confiance en soi. Ceci est valable pour toutes les professions et pour les personnes de tous les genres.

    Car en effet, comment croire à la réalité de ses propres talents, si on a été professionnellement mis sous les feux de la rampe, par exemple, de cette manière ?

    Evidemment, plus le temps passe et plus les personnes obtiennent de la notoriété – les victimes, mais surtout les agresseurs – plus il est difficile de dénoncer…

    Dans le même registre, et concernant la réputation et la popularité de l’agresseur, de son “génie” dans ce cas-là, voir le livre de Pola Kinski “Tu ne diras jamais rien – La fille de Klaus Kinski raconte 15 ans de calvaire”, Michel Lafon, 2013, puis les dénonciations de sa demi-soeur Nastassja Kinski la même année, alors qu’elles avaient respectivement 61 ans et 52 ans !

    Ceci, alors que Klaus Kinski en avait lui-même, semble-t-il, laissé tous les indices dans des ouvrages autobiographiques.

    Et à propos de Roman Polanski, comme le rappelle Bernard ci-dessus, dont certains veulent absolument séparer l’homme de l’artiste, alors que, étrangement, comme le dit l’humoriste Blanche Gardin, cela ne serait pas le cas s’agissant d’une autre profession, voir ici http://www.huffingtonpost.fr/2017/05/30/molieres-2017-blanche-gardin_a_22116569/ son intervention complète (queleques minutes) aux Molières 2017, ses réparties, ses silences… sa persévérence à dire ce qu’elle a à dire, et le malaise de Gaël Kamilindi et de Nicolas Bedos.

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