André Paul ou le dessin comme élixir de longue vie


Paul-André Perret, dit André Paul, s’apprête à fêter son 98e anniversaire.

Le dessinateur et peintre lausannois, « père » des caricaturistes romands, affiche une forme réjouissante et – après plus de huitante ans d’activité artistique – ses dessins tout en finesse n’ont pas pris une seule ride.

Etonnamment, aucune monographie ne lui est consacrée. Sa modestie proverbiale dût-elle en souffrir, voici quelques éléments qui pourraient en constituer le soubassement. Originaire de La Sagne, dans le Jura neuchâtelois, né au Locle le 27 décembre 1919, il est le fils de Paul-Henri, technicien-mécanicien chez Oméga, et de Léa, née Dubois, couturière avant d’être maman. Il fait ses classes primaires à Bienne, où il est scout dans la patrouille des « Oiseaux bleus ». Ce surdoué pour le dessin fréquente dès l’âge de quinze ans l’Ecole des arts industriels du Technicum de Bienne. En 1938, il se rend à Paris pour compléter sa formation de graphiste à l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs. Survient la débâcle de juin 1940. Il regagne précipitamment la mère-patrie, « avec les Allemands aux fesses », pour accomplir son service militaire. Il est incorporé dans l’infanterie et se retrouve avec des Jurassiens en couverture frontière. Son commandant de compagnie, le capitaine Maurice Koller, lui accorde trois jours de congé à condition qu’il revienne avec ses pinceaux. Cette louable initiative se voit récompensée par quelques portraits d’officiers et de camarades de service.

En 1946, le jeune homme se lance à Bienne comme dessinateur publicitaire, avec des grands magasins et le groupe Oméga comme principaux clients : du dessin réaliste, avec beaucoup de mise en page et quelques portraits d’industriels horlogers. Il épouse deux ans plus tard Anne-Marie Terrier, qui lui donnera deux filles, Agnès et Geneviève, et décédera en 1980.

Paul-André Perret s’établit fin 1949 à Lausanne, où il s’engage dans des imprimeries en qualité de graphiste et travaille pour l’agence Trio. Ses premiers dessins de presse paraissent dans L’Illustré, où il dispose bientôt de toute la dernière page. En 1952, Jack Rollan, qui vient de perdre son emploi à Radio-Lausanne, l’engage comme dessinateur pour son Bon Jour. Les fameuses « Victimes de la semaine », signées André Paul, vont égayer toute la Suisse romande jusqu’en 1958, date à laquelle la retentissante faillite du spectacle sous chapiteau de Jack Rollan sonne le glas du Bon Jour. Cette année-là, Marc Lamunière, patron d’Edipresse, lui demande un dessin quotidien. Proposition jugée irréaliste ! André Paul travaille pour des maisons d’édition, comme la Guilde du Livre d’Albert Mermoud, et souhaite conserver ses activités d’illustrateur publicitaire. Ce sera finalement un seul dessin dans l’édition dominicale de la Tribune de Lausanne, devenue Le Matin, jusqu’en 2000.

La saga de Nick et Fatty dans L’Ecolier romand (1952-1958), celle des Fricandot dans Trente Jours, les aventures de l’aguichante Chnouki-Poutzi dans le Bon Jour et la Tribune connaissent un franc succès. Lors de la campagne pour la T.V.A., Georges-André Chevallaz apparaît en boxeur, le front orné de sparadraps formant les trois lettres du nouvel impôt ; le conseiller fédéral, qui a une haute idée de sa fonction, refuse de se reconnaître dans ce dessin, du coup, il adresse six photos-portrait au caricaturiste pour l’inviter à « rectifier le tir » (ou plutôt le trait !)… Son successeur au Conseil fédéral, Jean-Pascal Delamuraz, appréciera beaucoup plus les dessins d’André Paul, au point de lui passer commande de plusieurs originaux.

C’est en vain que Treno, le rédacteur en chef du Canard Enchaîné, propose à André Paul de collaborer à son hebdomadaire satirique. A l’occasion d’un voyage aux Etats-Unis en compagnie de son copain Etienne Delessert, le dessinateur lausannois donnera deux dessins au New York Times, mais déclinera une proposition de collaboration régulière.

En dehors des titres précités, André Paul collabore aussi à des journaux comme La Suisse, la Weltwoche, L’Ordre Professionnel, devenu Entreprise romande, Opinions, Agri-Hebdo, journalistes.ch, à plusieurs journaux d’entreprises (celui de Nestlé notamment), à La Terreur, le brûlot de Pascal Thurre, au journal d’Edmond Kaiser, le père de Terre des Hommes, sans bouder les campagnes de Franz Weber « pour sauver Lavaux ». Il égaye de ses dessins Le 208, voué à la défense d’une école vaudoise trop chahutée, et honore de sa collaboration plusieurs Cahiers de la Renaissance vaudoise, notamment Les linguistes sont-ils un groupe permutable ?, le pamphlet au vitriol de Jean-Blaise Rochat, Ici on parle français !, EEE La nébuleuse, La Diplangue, ce « petit glossaire illustré du réformateur vaudois » composé par Jacques Perrin, et Vaud-Genève : unis contre la fusion, ouvrage collectif qui cloua définitivement le bec des fusiologues lémaniques.

On lui doit aussi l’illustration de merveilleux « contes d’ici et d’ailleurs » de C.-F. Landry dans Trente-Jours (1965-1967) et celle de nombreux livres : entre autres, une quarantaine de San Antonio de Frédéric Dard, un tome des Chefs-d’œuvre de François Mauriac au Cercle des bibliophiles, un Cesbron, C’est Mozart qu’on assassine, chez Laffont, La ruée vers l’eau de Gérard Borg, chez Arthaud, les Histoires de Gilles et Restons Vaudois chez Bastian, à Lutry, l’Humour gourmand chez Nestlé, à Vevey, Les joyeuses tribulations d’une sage-femme de Lila Sonderman chez Favre, à Lausanne, le livret du septante-cinquième anniversaire du Rotary-Club de Lausanne, le Livre d’or du centième anniversaire de la société d’étudiants Valdesia.

Jack Rollan a dit d’André Paul qu’« il attrape sa victime au lasso et nous la livre dans la posture généralement muette où l’a empêtrée sa maladresse ». Il faut préciser qu’il procède avec une telle délicatesse qu’on chercherait en vain la moindre trace de violence ou de méchanceté. Préférant la dérision au message-choc et à la vulgarité, il fait rire (ou sourire) et ne cherche pas à choquer. Très proche par le style de Ronald Searle, son trait précis et rapide – pratiquement sans retouches – fait aussi penser à celui de Cabus. Dans ses caricatures, il s’attache à rendre une expression particulière. Pour son confrère Richard Aeschlimann, André Paul doit la réussite de ses dessins à « son trait séduisant à l’œil : net, rapide, incisif avec des envolées lyriques qui ne sont pas sans rappeler cette tendresse malicieuse que possédait également Jean Villard Gilles ». Sa grande force est de « dessiner plus vrai que nature », mais « avec un graphisme qui est à chaque fois une tentative (réussie) de synthétiser un aspect des activités humaines et ses conséquences dans le domaine de l’humour ». Elle consiste également à « régionaliser les décors afin que, dans l’esprit du spectateur, ils se révèlent en résonance immédiate avec leurs propres stéréotypes des endroits dessinés ».

Riche de ses nonante-huit printemps, André Paul n’a pas du tout l’intention de poser le crayon ni le pinceau. Il continue de dessiner pour ph+arts, le magazine suisse des arts que dirige Pierre Hugli, et d’autres publications. Bon pied, bon œil, entouré de l’affection de ses deux filles et de leur nombreuse descendance, il considère le dessin comme une thérapie. Mais le terme d’élixir de longue vie serait ici plus approprié. Nos félicitations et nos vœux l’accompagnent à l’aube de cette nouvelle année que nous lui souhaitons riche en coups de crayon fulgurants et jubilatoires.

Jean-Philippe Chenaux (article paru dans “La Nation” du 8 décembre 2017)

Richard Aeschlimann, « André Paul Perret, la délicatesse du regard dans une plume d’acier », ph+arts, août-septembre 2008

 

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Un commentaire à “André Paul ou le dessin comme élixir de longue vie”

  1. Bernard Walter 10 décembre 2017 at 11:55 #

    Superbe article ! J’étais loin d’imaginer la richesse de cette carrière. Tous mes voeux pour l’excellent artiste qu’est André Paul.

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