La fin du “Matin” et le sport d’abord


Ainsi donc Le Matin de la semaine va disparaître le 21 juillet dans sa version papier pour devenir un pur acteur du Net.

PAR JACQUES GUYAZ

La précision «semaine» est importante; en effet Le Matin Dimanche reste en vie comme journal papier, du «print» comme disent les francophones.

Bien sûr Le Matin perdait de l’argent. Il était le journal lu au bistrot par les lève-tôt, une Suisse populaire qui parcourait le journal avant d’aller au travail. Le modèle économique d’un quotidien consommé par 30 ou 40 clients d’un café, qui recevait par abonnement quatre ou cinq exemplaires du journal, n’était pas viable.

Et d’ailleurs qui achetait encore Le Matin dans un kiosque? Qui le lisait assis dans un train, ballotté dans un tram de Genève ou debout dans le métro de Lausanne? Pratiquement personne. D’une manière générale on ne voit plus grand-monde lire la presse papier dans les transports publics – sauf 20 Minutes, la «marque» des pendulaires.

L’originalité du Matin ne reposait pas sur les rubriques people et les petites annonces coquines. Le quotidien était avant tout le grand journal sportif de la Suisse romande, avec ses six à huit pages consacrées au sport. La France dispose de L’Equipe, l’Italie de la Gazetta dello Sport. La Suisse romande avait Le Matin, journal de référence qu’il fallait lire pour connaître les dernières rumeurs de transfert de joueurs d’un club de football à l’autre, les vraies raisons des trois défaites successives de telle formation de hockey sur glace ou les possibilités pour Wawrinka de revenir au premier plan du tennis mondial.

La rubrique sportive du Matin jouait tout autant le rôle de lien social que d’information. Le plaisir du café est d’entendre son voisin bougonner «Ils ont écrit qu’il y avait pas penalty, mais moi je suis sûr; il y avait penalty» et de lui répondre: «J’en sais rien; j’ai pas vu le match». Ces petites choses minuscules tissent un rapport de familiarité entre inconnus. Cet élément disparaît complètement avec le numérique où chacun est rivé à son écran.

Les propos tenus par les cadres de Tamedia témoignent d’un dédain complet pour cet aspect fondamental du rôle d’un quotidien populaire comme Le Matin. Il suffit d’entendre Patrick Matthey, responsable de la communication chez Tamedia. Selon lui Le Matin, à l’instar des autres journaux maison, n’est pas un organe de presse, c’est une marque parmi d’autres, juste dotée d’une image forte qui ne disparaîtra pas. Quelque chose en somme qui ressemble davantage à Ovomaltine ou à Toblerone qu’à la Neue Zürcher Zeitung.

Si nous avons bien compris les propos des responsables de Tamedia, une quinzaine de journalistes subsisteront à la rédaction du Matin. Difficile avec un nombre aussi réduit d’envisager une publication numérique diversifiée avec des analyses très élaborées. A cet égard, les récents propos de Serge Reymond, membre du comité de direction de Tamedia et responsable des médias payants, ne laissent guère planer d’illusion.

Les journalistes sportifs ne sont pas compris dans le nombre des survivants potentiels. En effet, Tamedia a créé en 2015, sous le nom de Sport-Center, une agence de presse qui occupait une vingtaine de journalistes chargés d’alimenter la rubrique sportive du Matin, du Matin-Dimanche et de 20 Minutes. Ce Sport-Center rassemble désormais tous les journalistes sportifs des publications romandes de Tamedia; les réorganisations se succédant sans fin dans la presse romande, nul ne sait ce qu’il en sera dans six mois ou une année.

Remarquons tout de même que la Radio Télévision Suisse (RTS) a introduit un dispositif similaire en groupant les journalistes par thèmes (sport, infos, etc.) et non par média.

De toute évidence, ce Sport-Center n’en reste pas moins un point fort dans la stratégie de Tamedia, d’autant plus important sans doute que l’on en parle fort peu. On ne serait qu’à demi-étonné si, à terme, «la marque Le Matin», pour parler comme la direction de Tamedia, était utilisée, par exemple, pour lancer un Matin-Sport autonome purement numérique qui ne manquerait certes pas d’atouts pour séduire les annonceurs. De toute manière, rien n’est stable dans la presse en ce moment et tout peut arriver.

Domaine public

Lire également “La presse romande assassinée” par Christian Campiche, Eclectica 2017.

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