La cantatrice et l’évasion fiscale


Il y a peu, Arte nous a offert un documentaire absolument remarquable sur Freddy Mercury, que j’ai toujours considéré comme un authentique génie.

PAR BERNARD GENSANE

Avoir écrit « We Are the Champions » (la face B d’un disque simple !), cette chanson reprise en choeur par des centaines de millions de gens chaque année dans le monde entier, vous place pour l’éternité au plus haut rang.

Mercury se confiait très peu. Il avait retardé au maximum sa sortie du bois tout en s’affublant régulièrement de tenues outrageusement « folles ». Il faisait un complexe terrible pour ses dents qui rayaient le parquet. Enfin, ses origines lui pesaient : il parlait de sa « couleur de peau ». Il était à peine plus bronzato que moi mais ses parents étaient des Iraniens de Zanzibar et son vrai nom était Farrokh Bulsara. En revanche, il aimait évoquer son admiration éperdue pour Montserrat Caballé, pour lui « la plus belle voix du monde ». Timide comme un communiant, il lui avait proposé de lui écrire une chanson, peu de temps avant sa mort et alors qu’il se savait déjà malade. Elle lui avait suggéré tout un disque d’où se détacherait un chef d’œuvre qui m’était un peu sorti de l’esprit : « Barcelona ». A trois reprises ils interprétèrent ensemble cette création magistrale qui deviendra l’hymne officiel des Jeux Olympiques de Barcelone en 1992.

Du coup, je suis allé faire un tour sur Wikipedia pour me rafraichir la mémoire à propos de cette merveilleuse cantatrice que j’ai suivie de loin et loin pendant cinquante ans. Vous connaissez ma propension à systématiquement rechercher la moustache de la Joconde. Avec Montserrat, ma quête ne fut pas bien longue.

Âgée de 82 ans (elle en a aujourd’hui 85), elle a été reconnue coupable d’évasion fiscale par un tribunal espagnol. Le magistrat fit cette déclaration sans nuances : « je condamne l’accusée Montserrat Caballé, auteur pénalement responsable d’un délit aux dépens du Trésor public (…) aux peines suivantes : six mois de prison, amende de 254 231 euros. »

Comme il est d’usage en Espagne, le juge a épargné la prison à Montserrat car son casier judiciaire était vierge et parce qu’elle avait été victime d’un AVC quelques années auparavant. Elle dut néanmoins s’acquitter de 72 000 euros d’intérêts après avoir remboursé la somme escroquée. Elle reconnut avoir fraudé le fisc pour un demi million d’euros en excipant d’une prétendue résidence en Andorre.

De deux choses l’une : ou elle a fraudé toute sa vie et a eu la malchance de se faire prendre à 80 ans passés, ou, ce que je trouverais beaucoup plus passionnant, elle n’a fraudé qu’en cette circonstance. Ce qui signifierait alors qu’elle a éprouvé, en toute fin de vie et après une grave maladie, un prurit fiscal irrépressible sans penser à la confiture qu’elle aurait laissé sur ses doigts.

En janvier 2017, j’avais publié un texte sur deux infatigables cacochymes, Antoine Pinay et Olivier Giscard d’Estaing. Âgé de plus de 90 ans, le premier avait frétillé de la queue en soutenant le projet des avions renifleurs. Quand au second, il s’était lancé à la conquête de la mairie de Vierzon pour bouter les, selon lui, « Staliniens » hors de la cité. Il avait pris, en termes choisis, une branlée mémorable.

Tout cela pour dire que plus on est vieux, plus on est sage, ou plus on est con.

L’1Dex

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