Le 11 septembre 2018 avait lieu à Barcelone une gigantesque manifestation à l’occasion de la Diada, fête nationale catalane.
PAR FRANÇOIS GILABERT
Comme chaque année, cette fête commémore le siège de Barcelone par les troupes espagnoles de Philippe V de Bourbon qui eut lieu en 1714 et la défaite des troupes catalanes après une année de cruelle mais non moins héroïque résistance et c’est ainsi que le rapporte l’histoire. Elle rappelle également la perte de sa constitution, de ses institutions et donc de son indépendance. Depuis 2012, se déroule, à cette occasion, une manifestation pour l’indépendance qui réunit entre 1 et 2 millions de personnes.
Il convient de situer cette manifestation dans le contexte politique très tendu d’affrontement entre l’Etat espagnol et les forces indépendantistes, au pouvoir en Catalogne. Neuf membres du gouvernement et leaders d’associations civiles sont en prison provisoire depuis bientôt une année. Six conseillers du précédent gouvernement sont en exil, dont le Président Puigdemont et deux leaders de partis. Ils sont tous poursuivis pour avoir organisé le référendum d’indépendance jugé illégal par le précédent gouvernement espagnol présidé par Mariano Rajoy, malgré de nombreuses tentatives de dialogue de la part de son homologue catalan. La tenue du référendum a donné lieu à une répression brutale et sanglante de la part des policiers espagnols et gardes civils, au nombre de 12000, dépêchés par Madrid. La votation était considérée comme une rébellion, un délit auquel ont adhéré 2300000 citoyens de façon pacifiste en plébiscitant une République catalane indépendante.
Face au refus réitéré de l’Etat Espagnol d’entrer en matière pour une négociation, les autorités catalanes et le parlement furent contraints de proclamer l’indépendance le 27 octobre 2017. La répression ne tarda pas avec d’abord l’instauration de l’article 155 de la Constitution espagnole, qui dissout le gouvernement autonome et le place sous l’autorité de Madrid. Ce sera ensuite l’emprisonnement des responsables politiques catalans. Un nombre considérable d’inculpés qui ont pris part à l’organisation du référendum sont actuellement tous en attente de procès. Une année après, la manifestation du 11 septembre 2018 devait s’avérer une démonstration de force et de révolte de l’indépendantisme contre les agissements de l’Etat espagnol. De même, elle exigeait la libération des prisonniers politiques et le retour des exilés. On aurait ainsi pu craindre des débordements de violence de la part de plus d’un million de manifestants mais il n’en fut rien, bien au contraire. La manifestation s’est déroulée dans une ambiance de fête. L’émotion n’en fut pas moins intense. La manifestation a pris fin avec les discours notamment d’Elisenda Paluzie et de Marcel Mauri, responsables de l’ANC et d’Omnium, associations civiles hors-partis et non-violentes luttant pour l’indépendance. La foule s’est retirée calmement et s’est dissipée dans Barcelone, sans heurts, sans violence.
La manifestation du 11 septembre 2018 fut exemplaire en termes de renouveau démocratique. Pourtant l’événement n’a pas fait la Une de la presse internationale. Comment le comprendre? Faut-il imputer ce désintérêt à un réflexe folklorique, une méconnaissance de l’histoire d’un pays, l’Espagne, longtemps présenté comme un pays uniforme? Ou alors à l’absence de violence? Il a fallu une nouvelle fois constater le parti pris de certains envoyés spéciaux à Madrid. Le boycott qu’exercent la plupart des médias espagnols y est aussi pour quelque chose. Il est également étonnant que dans un pays si cultivé, peuplé de grands penseurs et de philosophes, universitaires renommés, écrivains célèbres de langue espagnole, on trouve rarement des articles d’intellectuels évoquant de façon équilibrée la crise catalane.