Chronique catalane – Gandhi disait : « Quand une loi est injuste, le plus correct est de désobéir »


En cette période de mi-novembre, est revenu un certain calme en Catalogne, mais sommes-nous dans l’œil d’un nouvel ouragan ? Le mois d’octobre a été le théâtre de fortes tensions suscitées par le premier anniversaire de la tenue du référendum d’indépendance, la grève générale et la proclamation d’indépendance. C’est aussi le triste anniversaire de la répression du mouvement souverainiste catalan marqué par la violence policière lors de la votation du référendum, l’emprisonnement des hommes politiques et l’exil du Président Puigdemont. 

En tant qu’observateur, j’avais pu assister dans une petite ville de Catalogne, plus précisément à Premià de Mar, située à 25 km au nord de Barcelone, au déroulement du référendum. Je n’avais jusqu’ici jamais vécu en direct un événement politique si émouvant et si admirable quant aux valeurs de solidarité et d’organisation populaire. Des assemblées de rue s’étaient spontanément créées dans lesquelles étaient débattues des idées d’actions toujours dans un esprit de liberté et de scrupuleuse non-violence. La veille du scrutin, des adolescents avaient obtenu l’autorisation, auprès des autorités, de disposer des locaux des écoles pour y organiser des jeux, bricolages, des tournois de basket, d’échecs. A 19h, une dernière assemblée réunissant toute personne intéressée, et animée par des hommes et des femmes de tout âge, proposait des idées de préparatifs pour le déroulement de la journée de votation du lendemain. Chacun pouvait y exposer son point de vue et engager sa présence dans chaque local de vote, en se coordonnant aux autres. Des adolescents et jeunes adultes avaient prévu de dormir dans les salles de gym et autres lieux prévus pour la votation, prévoyant boissons et ravitaillement. Tout au long de la soirée des gens venaient les trouver et leur apporter repas et desserts.

Le lendemain, jour de la votation, à cinq heures du matin, une foule s’était rassemblée devant chaque local de vote et attendait avec impatience les urnes (Photo FG). Ces urnes en plastique marquées du sceau du gouvernement catalan, avaient été dissimulées en divers endroits secrets pour ne pas être repérées par la police: chez des particuliers, emballées dans des sacs-poubelle, dans des forêts, hangars etc. Elles avaient été financées par des privés, fabriquées en Chine et, via le port de Marseille, acheminées petit à petit dans les nombreuses communes au moyen de camions provenant de la Catalogne nord (Roussillon) et dans le plus strict secret. Durant cette attente, des gens s’étaient proposés pour offrir cakes et boissons chaudes. L’arrivée des urnes était accueillie par de chaleureux applaudissements, un appel était fait aussitôt pour inviter président et jurés. Au cours de la journée, cependant, les nouvelles des interventions violentes de la police espagnole de la guardia civil diffusées par les médias radiophoniques et télévisés se répandaient d’un goupe à un autre, d’une personne à une autre, amassés autour des bureaux de vote. Des images de votants frappés par la police à coups de matraque et recevant des coups de pieds, des femmes tirées par les cheveux, une autre âgée au visage ensanglanté, des hommes jetés violemment parterre, des portes fracassées à coups de marteau, des urnes emportées par la police devant des gens consternés par un tel déferlement de brutalité. La fête était brisée et l’on pouvait lire alors la tristesse et l’angoisse des personnes rassemblées sur les lieux de votation de cette petite ville de Premià de Mar. Des larmes pointaient chez certains jeunes, une terreur visible se lisait sur chaque visage. On annonçait l’arrivée des gardes civils se dirigeant sur Premià de Mar après avoir durement chargé les habitants d’un petit village voisin nommé Dosrius. Dans la peur, des hommes avaient disposés des containers pour couper l’accès aux éventuels policiers qui se dirigeaient, pensaient-ils, vers le lieu de collecte de toutes les urnes de la ville. Mais il n’en fut rien et c’est devant les applaudissements d’une foule immense accourue des quatre coins de la ville que les urnes portées par des hommes et des femmes ont finalement été amenées au local central de vote pour un comptage qui durera plusieurs heures.

Les événements de cette journée historique restent à tout jamais gravés dans la mémoire de chaque Catalan. Ils n’auraient pu avoir lieu sans l’engagement de la société civile unissant des citoyens de toute tendance, Assemblée Nationale Catalane, Omnium cultural et les CDR (Comité de Défense pour la République), mouvement indépendantiste formé surtout par des gens de gauche et d’extrême-gauche. Les partis espagnols opposés à la séparation de la Catalogne se servent de ses actions pour démontrer que les indépendantistes sont violents alors qu’ils sont pacifistes. Ainsi le CDR s’est-il affronté à la police le 1er octobre dernier et deux de ses membres furent arrêtés par la garde civile. Motif: avoir paralysé le pays, en bloquant routes et autoroutes, voies de chemins de fer. Comme les « gilets jaunes » français… mais avec des conséquences différentes au niveau de la répression.

De toute évidence, la justice espagnole ne traite pas de la même manière ses manifestants. L’incarcération des leaders politiques, les peines requises jusqu’à 25 ans de prison pour avoir organisé un référendum, toutes ces injustices n’ont pas seulement pour conséquence de renforcer la détermination des partisans de l’indépendance. Elles laissent également augurer une réprobation de l’Europe devant tant d’anachronismes au 21ème siècle. Gandhi disait: «Quand une loi est injuste, le plus correct est de désobéir».

François Gilabert

Assemblée populaire. Photo FG

Votants frappés par la police, la fête est brisée. Photo DR

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