L’homme sans racines


Partir, c’est mourir un peu, beaucoup, énormément! Le déracinement, pour certains, laisse à vif des plaies à l’âme tout au long d’une vie. L’individu est tiraillé entre sa nouvelle identité et l’ancienne, le voici confronté à des identités multiples. Il hésite, zappe, oscille entre ses multiples appartenances. Alors, il est en « quête de soi » et ce, de façon permanente. Il est réduit à la coexistence avec deux personnages en lui, celui d’avant, le déraciné et l’homme nouveau, celui qui doit s’intégrer dans le pays où il a migré par la force des choses. Il est devenu pluriel. Les voilà assez seuls, l’un se souvient, et l’autre s’efforce de s’adapter à vitesse grand «V» à son nouvel environnement. Ils doivent vivre ensemble, ils sont condamnés à s’entendre, alors ils s’observent, tout en restant chacun dans une sphère bien distincte. L’un a la tête pleine de souvenirs de son pays, alors que l’autre a la mémoire en jachère. Il lui faut tout reconstruire à présent!

Quelle image a-t-il de lui? Il a du mal à se représenter cet autre qu’il est devenu. Quand il s’entend parler sa langue d’adoption, il ne se reconnait plus. Quand il se regarde dans un miroir, habillé à l’européenne, il se voit déguisé comme pour un carnaval qui dure pourtant toute l’année. Alors, tout vacille autour de lui, il revoit son village, les visages aimés de son enfance, il se remémore la musique et les chants de son pays. Il s’interroge constamment sur le «moi», le «soi» et le regard des autres. Il finit par se percevoir comme étant un autre. Il vit en permanence en contradiction avec lui-même. 

Dans sa tête, plus rien ne va, il souffre de la psychopathologie de l’exil, c’est-à-dire des désordres liés à l’immigration. Ses problèmes sont multiples, perte d’identité, linguistique, culturelle, ainsi que des perturbations qui affectent les structures de sa personnalité. Etre un étranger, c’est également subir des blessures narcissiques, avoir un sentiment d’insécurité dû au fait de la rupture avec son appartenance. La représentation de son univers natal ne correspond plus à son environnement actuel. Non seulement il se sent exilé, mais plus le temps passe et plus il est happé par cette nouvelle manière de vivre, de se comporter. C’est alors que commence un processus irréversible, celui de l’acculturation. Et si d’aventure un jour, il retourne dans son pays d’origine pour des vacances, il ne se sentira plus chez lui. Il deviendra l’homme de nulle part.

Lorsque l’on décide de partir pour un pays de son choix, pour des raisons professionnelles ou autres, les choses se passent différemment. Avant d’entreprendre ce voyage, on se prépare parfois durant des mois, voire des années. Une fois sur place, c’est un rêve qui devient réalité. Mais, lorsque l’on est dans l’obligation de quitter sa patrie pour cause de guerre, de misère, ou politique, alors chaque Etat devient aux yeux du requérant d’asile une sorte de bouée de sauvetage. Pour lui, c’est une question de survie. Il est prêt à affronter tous les dangers pour arriver sur le sol de son Eldorado, quel qu’il soit. Mais, bien vite, il déchantera. Partir, nécessite beaucoup de courage. Rester sur sa terre d’accueil, lui en demandera bien davantage. Avec le temps, lentement mais sûrement, de nouvelles racines le fixeront à jamais à ce pays étranger qui deviendra enfin le sien.

Emilie Salamin-Amar

Publié dans l’Essor

Photo Laurette Heim

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