Comme dans tous les pays, l’avenir du cinéma en salle est plutôt sombre en Suisse. Les causes en sont connues (DP 2239): le développement des plateformes de vidéos à la demande comme Netflix, qui risque d’ailleurs d’être à son tour débordée par l’arrivée prochaine de Disney sur ce marché; ensuite l’explosion du nombre de séries télévisées de grande qualité qui maintient le public dans son salon.
L’apparition d’écrans de télévision géants est rarement mentionnée. Il s’agit pourtant d’une condition de base qui offre à domicile, pour un prix raisonnable, une qualité de vision – mais pas toujours de son – très acceptable.
L’Office fédéral de la statistique vient de publier des données fort intéressantes, établies sur la longue durée. Après avoir atteint un pic autour de 1960, le nombre de cinémas s’est effondré dans notre pays, passant de plus de 600 à environ 300 dans les années 90. Après une stabilisation pendant une vingtaine d’années, ce nombre décroît à nouveau. Il est désormais passé sous la barre des 300.
Mais ces cinémas n’ont plus rien à voir avec ceux des années 60 du siècle précédent. Les grandes salles ont été remplacées par des multiplexes avec plusieurs écrans et moins de fauteuils. Le nombre de salles est en fait resté quasiment identique à ce qu’il était voici 50 ans. Les fauteuils sont beaucoup moins nombreux: plus de 220’000 autour de 1960 contre moins de la moitié aujourd’hui.
Plus de films, moins de spectateurs
Le nombre total de spectateurs est pris en compte dans les statistiques depuis 1980. Cette année-là, les cinémas helvétiques ont accueilli 21 millions de spectateurs. La chute est vertigineuse dans les années 80, passant à 15 millions d’entrées en 1990 – c’était la grande époque de location des cassettes vidéos – et ce chiffre s’est ensuite stabilisé pendant 20 ans avant de baisser à nouveau pour se situer aujourd’hui autour de 12 millions.
Le quantité de films projetés aujourd’hui est presque deux fois plus importante que dans les années 90. Ce paradoxe n’en est pas un. La production cinématographique a explosé dans le monde entier et la politique de projection des multiplexes est totalement différente des cinémas d’il y a 40 ans. Une salle projetait le même film pendant une semaine. Aujourd’hui plusieurs films différents sont projetés dans la même salle à des heures choisies selon le public visé. Un film qui n’attire pas les spectateurs est remplacé au bout de quelques jours.
La Suisse romande reste beaucoup plus attirée par le cinéma que la Suisse alémanique. Outre-Sarine, le nombre d’entrées par habitant est d’environ 1,3, alors qu’ il atteint 1,8 en Suisse romande. Cette différence est difficilement explicable, peut-être en raison de l’impact médiatique du cinéma français. Pour nos voisins d’Outre-Jura, c’est une industrie très importante et les médias en parlent beaucoup. Le cinéma est très présent dans les têtes, même si les grosses productions américaines en profitent d’abord et attirent les spectateurs.
Un Röstigraben cinématographique
Depuis le début de l’année, parmi les 25 films les plus vus en Suisse alémanique, si l’on met de côté 21 films américains destinés pour l’essentiel aux adolescents et aux jeunes adultes, on trouve deux productions helvétiques, Zwingli et Le merveilleux voyage de Wolkenbruch ainsi que deux films français Qu’est-ce qu’on a encore fait au Bon Dieu et le dernier Astérix. La Suisse romande est plus éclectique: aucun film suisse dans l’océan américain, mais deux œuvres françaises, l’inévitable Qu’est-ce qu’on a encore fait au Bon Dieu ainsi que Les petits mouchoirs. Auxquels s’ajoutent deux films issus du festival de Cannes, l’espagnol Dolor y Gloria d’Almodovar et Parasite, la palme d’or du Coréen Bong Joon Ho, sans oublier l’anglais Rocketman, la biographie d’Elton John.
Le Röstigraben reste une réalité pour les productions suisses: le film sur Zwingli vient en deuxième position des succès de l’année Outre-Sarine avec 232’000 entrées contre… 5’800 dans nos terres francophones, soit dix fois moins de spectateurs en proportion de la population. Il est des barrières culturelles qui restent infranchissables.
Jacques Guyaz