Ce que la sombre affaire de Credit Suisse met en lumière


Le 20 septembre dernier, le site bien nommé IN$IDE Paradeplatz révèle une affaire ahurissante. Iqbal Khan, cadre supérieur de Credit Suisse et proche du patron Tidjane Thiam, dont il est aussi le voisin à Herrliberg sur la Goldküste, a démissionné pour occuper un poste également élevé à UBS.

Transition trop rapide? Une agence de détectives l’a pris pris en filature. Le mandant formel reste inconnu. L’interlocuteur présumé côté Credit Suisse a mis fin à ses jours. Depuis trois semaines, le terme de scandale est immanquablement accolé au nom du groupe. Le président Urs Rohner reste discret, lui qui tient lieu de gardien d’une «suissitude» toute relative puisque les trois quarts des actions donnant droit de vote appartiennent au fonds pétrolier du Qatar.

Autant dire que le dégât d’image est gigantesque, atteignant du même coup UBS et la place financière zurichoise pour ne pas dire suisse – ce qui doit faire sourire à Londres ou Francfort. La NZZ n’hésite pas à consacrer une première page à cette grave atteinte au modèle même du «succès helvétique».

Cette dérive s’explique par une absence d’autocritique et de mise à jour. Les grandes banques sont installées dans la pratique du grand écart: si elles maîtrisent les avancées de la blockchain et les transactions sans contact, elles restent engluées dans une culture d’entreprise surannée. Prenant de haut leur chère clientèle à laquelle elles imposent des prestations en fonction de leurs propres procédures et avantages; prenant de haut les pouvoirs publics, réputés gestionnaires peu efficaces, et surtout les autorités de surveillance; n’admettant pas que leur propre comportement rend ces dernières de plus en plus attentives et les réglementations de plus en plus pesantes.

Dirigeants hors sol et hors de prix

Priorité est accordée aux résultats d’exploitation et de placements. La consultation des rapports annuels – plusieurs centaines de pages pour les plus grands groupes – met en évidence, outre les modes de gouvernance, les coûts d’exploitation, le rendement des activités, et les facteurs de risques.

Parmi ces derniers, il faudrait ranger les critères de sélection et les modes de rémunération du personnel de direction, dûment cités par Rudolf Strahm dans une récente chronique. La mentalité qui prévaut désormais représente un danger majeur pour la grande industrie bancaire. Les années d’expérience et de carrière ascendante dans la même entreprise ne comptent plus. Sont au contraire recherchés les candidats possédant un rayon d’action international, des prétentions élevées en matière de rémunération et de bonus, la maîtrise des réseaux qui comptent, la capacité de s’imposer dans les meilleurs délais. Une bonne dose de narcissisme, le goût du pouvoir, la volonté d’éblouir, la propension à rivaliser en toutes circonstances, constituent autant d’atouts pour ces dirigeants-footballeurs, pour lesquels le mercato est ouvert toute l’année.

A force de bondir d’une direction générale à l’autre, les patrons de banques ne prennent plus le temps d’appréhender la culture spécifique à leur lieu de travail. C’est ainsi que, relate encore Rudolf Strahm, Tidjane Thiam s’est donné en toute assurance le ridicule de visiter une exposition de peinture encadré par deux gardes du corps!

L’indifférence politique

Le plus frappant dans cette évolution, c’est qu’elle ne suscite pratiquement pas de réactions indignées. Ni la politique des banques ni l’arrogance de leurs dirigeants ne provoquent de révolte dans l’opinion – tout au plus quelques écœurements et des burn-out à l’interne. Tout se passe comme si la résignation l’emportait sans discussion.

Le climat qui règne dans les grandes sociétés bancaires n’intéresse personne, ne provoque ni exclusion, ni rébellion. Ainsi, la campagne électorale se poursuit, sans que le «scandale Credit Suisse» n’y trouve la moindre place. Au grand et silencieux soulagement des partis bourgeois sans doute – y compris de l’UDC, par ailleurs si prompte à pourfendre les interventions étrangères.

L’ordre et le silence règnent autour de la Paradeplatz.

Contraste impitoyable

Par rapport à la place financière de Zurich, celle de Genève présente un contraste impitoyable, souligné encore par la simultanéité des événements. En vue du Sommet mondial de l’investissement responsable qui s’est tenu du 7 au 10 octobre, les banques privées de la place genevoise ont assuré avoir «déjà largement intégré les critères de durabilité».

Certes, l’impact réel de ces mesures reste difficile à démontrer. Certes, les banquiers jugent le cadre légal trop étroit. Ils souhaitent en particulier que l’émission et le commerce de produits financiers durables bénéficient d’un allègement fiscal, comme le demande un postulat du Conseil des Etats que le Conseil fédéral aurait voulu rejeter pour cause d’efficacité aléatoire. Quoi qu’il en soit, Genève renforce résolument sa dimension internationale en misant à fond sur la finance durable.

Yvette Jaggi

Domaine Public

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