L’Allemagne étouffe dans son ordolibéralisme


Les allemands qui, dans leur écrasante majorité sont farouchement opposés à ce qu’ils qualifient de “Haftungsunion”, autrement dit union de transfert – elle sous-entend que leur pays paie trop d’argent pour l’Europe – vivent-ils dans un univers parallèle ? Les allemands seraient-ils devenus populistes dans le sens où ils n’hésitent pas à brandir une argumentation spécieuse, fallacieuse, facile afin de faire – et de se faire- peur ? Cette manipulation, ce sentiment qu’ils sont les créanciers de l’Europe, cette amertume savamment entretenue selon laquelle nous en voulons tous à leur argent ne relèvent pourtant que du fantasme.

Le Mécanisme de Stabilité Européen ? Celui-là même qui a soutenu – non seulement la Grèce – mais également et surtout les banques allemandes et françaises a, en réalité, sauvé la mise au contribuable allemand. Du reste, le concept même d’Union et l’essence du projet européen ne consistent-ils pas, précisément, en un partage du fardeau, en des risques mis en commun, la souscription par les adhérents à une sorte de police d’assurance censée bénéficier à tous les membres de la famille? La philosophie de l’intégration européenne a hélas été foulée aux pieds ces dernières années, un peu comme ces affiliés à une assurance-maladie qui se voient refuser l’accès aux soins et à leurs droits car ils ont la mauvaise idée de tomber malades. La base même d’une assurance n’est-elle cependant pas que ceux qui sont en bonne santé acceptent de jouer le jeu et de payer pour les autres, que ceux qui sont souffrants en auront plus pour leur argent ? Dès lors, doit-on supprimer toute assurance car celle-ci ne nous profite pas, au risque de nous retrouver nous-mêmes sans protection le jour où la bise sera venue ?

Mais, en fait, pourquoi feindre l’étonnement vis-à-vis de l’attitude d’un pays qui abandonne même les siens dans la mesure où 20% de ses citoyens vivent sous le seuil de pauvreté. En 20 ans, les revenus des plus modestes n’y ont que décliné en tandem avec la productivité de ses entreprises. Au final, l’Allemagne offre aujourd’hui un spectacle ravagé par les inégalités qui y sont encore pire qu’en Grande Bretagne et aux Etats-Unis car 40% des allemands n’ont strictement aucune épargne ni richesse. Quant à leurs banques, elles ne veulent ni ne peuvent les soutenir car il faut bien admettre qu’elles ont été de tous les fiascos, des subprimes aux bulles immobilières espagnole et irlandaise. Sans vouloir évoquer les déboires qui n’en finissent plus de Deutsche Bank, reconnaissons qu’elles ont été particulièrement volages dans le placement de l’épargne de leur pays.

En Europe, l’Allemagne est donc un cas particulier, y compris en raison de son inéquité fiscale consistant à taxer lourdement les revenus du travail, parallèlement à une clémence inouïe envers les plus fortunés. Système entièrement construit afin de préserver les dynasties industrielles qui ne paient virtuellement pas de droits de succession (1% dès 10 millions d’euros d’héritage) tandis que ceux qui héritent de 400’000 euros sont taxés à 10%… Le creusement des inégalités est donc une mécanique parfaitement assumée dans ce pays qui pénalise lourdement le travail.

Il en est de même pour la règle d’or exigeant d’équilibrer le budget de l’Etat qui exerce des ravages aux niveaux local et fédéral. Elle explique pourquoi les investissements publics et en infrastructures sont si indigents dans un pays riche comme l’Allemagne. La décision prise il y a un peu plus d’une dizaine d’années par le gouvernement fédéral – elle contraint les Etats et les municipalités de ne plus avoir de dette – piétine ainsi toute la palette des investissements vitaux, y compris sur l’éducation et la santé. Quand cette Allemagne, si fière de ses excédents, se rendra-t-elle compte que leur diminution au profit de ses propres citoyens et de ses propres infrastructures lui sera en premier lieu bénéficiaire ?

 Michel Santi

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