Chronique d’Alès – Les damnés du tableau noir


Plus malheureux qu’un prof en France, franchement, on ne trouve pas ! Je plaisante ? Pas du tout. Lisez donc les jérémiades des damnés du tableau noir, qui doivent se coltiner E3C. C’est quoi ça ? Les épreuves communes de contrôle continu, selon le doux sabir de l’Education nationale. Une heure et demie d’examen d’histoire-géo, langues vivantes et maths. Les notes comptent pour 30% du résultat du bac. Pour les profs, un effort surhumain, on vous dit !

C’est le nouveau système du bac à la française. Autres nouveautés : pour que les candidats et les lycées soient sur pied d’égalité, les profs devront choisir leurs sujets dans une « banque nationale numérique » et les copies, anonymes, seront numérisées et corrigées par d’autres profs que ceux des élèves. C’est le progrès, non ? Eh bien, pas du tout. Douze syndicats d’enseignants dénoncent une réforme du bac mal préparée. Le contrôle continu « instaure une pression permanente sur les élèves, les mettant dans une posture d’évaluation permanente ». Comme le disait Bill Gates, qui en connaît un bout sur le sujet : « Si vous croyez que votre professeur est dur avec vous, attendez d’avoir un patron ». Pour les profs, il y a pire encore : « les sujets proposés par la banque nationale de sujets ne correspondent pas aux savoirs étudiés par les élèves ». Vous vous rendez compte du scandale : on va interroger les élèves sur ce que le prof n’a pas eu le temps de leur apprendre ! C’est la faute du ministre. 

Attendez, vous n’avez encore rien vu : « il semblerait que les scanners dont ont été équipés les établissements ne reconnaissent pas correctement les couleurs et très insuffisamment les crayons. Cela risque d’obliger les élèves à écrire uniquement au crayon noir ». Là, j’ai failli m’étrangler de rire ! Donc, les tout-puissants syndicats de l’Education nationale ont décidé une grève des examens : on ne choisit pas de sujet, on ne surveille pas, on ne corrige pas. Les directeurs d’école s’arrachent les cheveux, les élèves sont stressés, les parents angoissent. Les syndicalistes répondent : « Professeur motivé pour exiger STOP E3C ». Pas pour faire le travail pour lequel ils sont payés !

En France, les syndicats d’enseignants vivent encore dans un autre monde, celui des Trois Glorieuses, où tout le monde trouvait du boulot après le bac, où on prenait sa retraite à 60 ans. Fini, tout ça : un élève sur dix quitte l’école avec une formation insuffisante pour trouver un emploi, la France compte 5 millions de chômeurs et la retraite, c’est à 62 ans et bientôt à 64. Alors, les profs sortent les fourches contre leur ministre : « contre nous de la tyrannie, l’étendard sanglant est levé ». Debout, les damnés du tableau noir ! Debout, les forçats de l’E3C ! Marchons sur le ministère de l’Education nationale, cette Bastille du pouvoir !

C’est un conflit de société. Depuis mai 68, les profs répètent que l’école n’est pas faite pour former les petits soldats du capitalisme, mais pour développer la personnalité des élèves. Ils s’opposent farouchement à toute réforme et à toute évaluation de leur travail. Et tant pis si les petits Français sont nuls en langues. Tant pis si les petits Allemands apprennent les bases de l’informatique pendant que de graves pédagogues français s’interrogent sur l’enseignement du latin et de l’écriture inclusive. Tant pis si la France, patrie des lumières, n’est que 23e sur 79 pays évalués dans l’enquête PISA sur les connaissances en lecture, en maths et en sciences. Et surtout, l’écart se creuse entre les bons et les mauvais élèves, en fonction de l’origine sociale. La France est championne de l’inégalité sociale. La faute au système, pas aux profs ? PISA dit le contraire : en France, seuls 57% des élèves affirment que leurs profs s’intéressent à leurs progrès ! C’est ce que pensait ce farceur d’Henry Miller, le célèbre écrivain américain : « J’ai appris beaucoup plus avec les imbéciles et les rien du tout qu’avec les professeurs de ceci ou de cela. L’instructeur, c’est la vie, et non le ministère de l’Education nationale ». 

Evidemment, les profs réclament une augmentation de salaire. Selon le ministère, un prof certifié de lycée gagne en moyenne 2050 € nets par mois et a droit parfois à des indemnités de résidence, de suivi des élèves ou d’heures supplémentaires. C’est 22% de moins que la moyenne des pays de l’OCDE. Les syndicats réclament aussi qu’on engage plus de profs et qu’on donne plus de moyens à l’Education nationale, dont le budget s’élève à 53 milliards €. Pour acheter la paix sociale, le ministre leur a promis 500 millions de plus l’an prochain pour compenser le nouveau système de retraite. Il promet une augmentation de 70 à 90€ par mois en début de carrière. Insuffisant, clame le syndicat SE-UNSA : «Pour garantir des pensions équivalentes à celles des fonctionnaires de catégorie A, il faut augmenter tous les enseignants entre 700 et 900 € brut par mois ».  Rien que ça ! Ce petit coup de pouce coûterait 7 à 9 milliards € par an. Le syndicaliste a dû relire le romancier américain Stephen King : « Les bons professeurs, comme les épouses vertueuses, sont des perles qui n’ont pas de prix ». 

Marc Schindler

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