La chute du banquier noir


Il n’y a vraiment qu’en Suisse qu’on voit ça : le Crédit Suisse, la seconde banque helvétique, vire avec perte et fracas son directeur général, Tidjane Thiam, moins de trois ans après sa nomination. Il avait piqué dans la caisse? Il avait mené sa banque à la faillite? Pas du tout, il avait fait espionner deux anciens cadres qui avaient passé à la concurrence !

On croit rêver ! Toutes les banques font pareil : vous croyez que ça fait plaisir quand un responsable des opérations, qui rapporte des millions, est débauché par une autre banque ? C’est pas moral de le faire suivre par un détective, mais il n’y a pas de quoi fouetter un banquier. La vraie raison de la chute de Tidjane Thiam, c’est… comment vous le dire ? C’est qu’il est Noir. On croirait entendre Louis de Funès quand il apprend que son chauffeur est juif. Non, on n’est pas raciste à la Paradeplatz, le temple de la finance helvétique. Mais, quand même : un Franco-Ivoirien à la tête d’une banque fondée en 1856. Et en plus, il vient de l’assurance, il n’est pas colonel EMG, il ne fait pas partie de la bourgeoisie protestante, il n’est pas membre de la Zunfthaus zur Safran, l’une des plus prestigieuses corporations de la ville, et surtout, il ne parle pas le züritütsch, le dialecte zurichois. Il préfère parler français ou anglais. Et le brillant assureur ose affirmer que le Crédit Suisse a été mal géré. Bref, il a beau être un as de la finance internationale, nommé « banquier de l’année » en 2018 par le magazine Euromeoney, il n’est pas « helvetico-compatible » !

Et puis, son style de manager n’a pas plu du tout. Il a choisi des hommes à lui, des Français. Dans un milieu compassé et qui revendique sa sobriété, Thiam détonne. Il adore se déplacer en hélicoptère au lieu de la Mercedes traditionnelle. Quand la vénérable NZZ, le quotidien officiel de la banque zurichoise, demande sa tête, il se défend sur Instagram au lieu du service de communication de la banque : « Je crois à la liberté d’expression et à l’importance des médias ». Et l’impudent banquier noir ose même déclarer qu’il envisage de demander la nationalité suisse.

Depuis son arrivée à la tête du Crédit suisse, Thiam a fait le ménage et a promu des cadres étrangers. Il s’est opposé de front à son président, l’inamovible Urs Rohner. Si Thiam avait réussi à relancer le Crédit Suisse.. Mais l’action de la banque a perdu la moitié de sa valeur en trois ans et le rival de toujours, l’UBS, caracole en tête des banques suisses. Quand Thiam affirme à la TV qu’il ne savait rien des affaires d’espionnage par le Crédit Suisse, qui a infiltré les écologistes de Greenpeace, l’Autorité de surveillance des marchés financiers s’en mêle. Bref, ça dysfonctionne grave au sein du Crédit Suisse. «Désastre au Crédit Suisse», titre la Tribune de Genève. Alors l’establishment bancaire zurichois a grogné : unmöglich, genug. Le conseil d’administration a viré le banquier noir et nommé à sa place un discret Suisse, docteur en économie. Quand la tempête secoue le navire, autant mettre à la barre un gars du cru ! Mais les grands actionnaires étrangers de la banque qui contrôlent les deux tiers du capital de la banque ne vont pas laisser tomber leur champion Thiam.

A Zurich comme à New York, à Londres ou à Paris, la banque internationale navigue en haute mer. La houle secoue les paquebots les plus prestigieux et il faut des capitaines aux nerfs d’acier pour tenir le cap. Pas sûr qu’il en existe beaucoup dans la petite Suisse et ses 8 millions d’habitants !

Marc Schindler

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