Au Pérou, la peur est devenue le miroir du quotidien


PAR PIERRE ROTTET

Le 30 juin prochain, les citoyens Péruviens auront derrière eux 107 jours de confinement. Avec la courbe exponentielle que prend la pandémie dans le pays, rien n’indique qu’une lueur de liberté leur sera ensuite octroyée. Quelques allègements ici et là ont bien été consentis par le président Vizcarra, mais avec tellement d’entraves et de restrictions pour de nombreuses professions qu’elles douchent les plus entreprenants. Les plus optimistes ! Sans pour autant faire entrer un sol dans le porte-monnaie des informels de la rue.

Des apparences de liberté concédées au compte-gouttes. Qui servent plus à masquer le désarroi et l’impuissance d’un gouvernement et d’un président face à l’implacabilité de chiffres à la hausse mais tellement contradictoires qu’ils laissent perplexe l’observateur péruvien.

Mardi, le ministère de la santé (Minsa) avançait le nombre de 4’845 décès, dont près de la moitié dans la seule capitale Lima et du Callao. Au même moment, l’Institut péruvien de l’Université nationale Mayor de Sans Marcos publiait des chiffres laissant loin derrière ceux avancés par l’officialité: 7’827 morts pour l’ensemble du Pérou. On approchait alors de ce qu’avançaient malheureusement il y a une dizaine de jours quelques médias anglophones. Ils faisaient état de plus de 9’000 cas mortels dus à la pandémie. Des chiffres nullement infirmés par le gouvernement, à ma connaissance.

La peur, l’angoisse sont ainsi devenus depuis 3 mois le miroir du quotidien des Péruviens. Les nouveaux cas prennent une vertigineuse ascension, au même titre que les drames récupérés par la grande faucheuse. Entretenus mais aussi abondamment alimentés par de bien trop alarmistes médias et, surtout, une surabondance indécente d’échanges dangereusement accusateurs et trompeurs qui circulent sur les réseaux sociaux. Irresponsables, ces derniers ont d’ores et déjà pointé les populations vulnérables. Ciblées et accusées du fiasco sanitaire. Tenues pour être ni plus ni moins de faiseuses de désastre.

Fiasco ? Pas pour tout le monde. Les sondages arrangent bien les affaires du président Vizcarra, crédité de 76% d’avis favorables sur la question de son action contre le coronavirus. Une baisse tout de même de 4 points par rapport aux dernières enquêtes faisant état de 80% d’approbation. Que valent d’ailleurs ces chiffres est une autre question. Nombre d’observateurs s’interrogent à propos de leur fiabilité. Que valent-ils loin dans les zones les plus dramatiquement touchées, les régions rurales, andines, amazoniennes et autres lieux ignorés des pouvoirs politiques et économiques?

Il reste que loin de ralentir, la sinistre sarabande du virus continue son massacre, alors même que le Pérou fut le premier en Amérique latine à prendre des mesures, à fermer ses frontières terrestres, maritimes et fluviales. Un fiasco qui n’a pas échappé en début de semaine au congressiste de « Somos Peru », Rennan Espinoza. S’adressant à ses pairs, au gouvernement et, sans doute, à une certaine classe sociale privilégiée du Pérou, de Lima notamment, il a demandé d’arrêter de s’en prendre aux populations fragiles, déjà méprisées et ignorées en époque « normale », violemment stigmatisées aujourd’hui, montrées du doigt… accusées d’être à l’origine de l’inarrêtable croissance de la pandémie au Pérou. Crade ignorance des réalités du pays… sur les quelque 9 millions d’habitants de Lima, 1,2 million de personnes n’ont pas accès à l’eau. Et 3 autres millions en bénéficient… mais de façon intermittente.

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