L’âge d’or des festivals est-il révolu?

PAR STEPHANE MOREY

Face au coronavirus, à la récession économique à venir, et à l’urgence climatique, Stéphane Morey, co-fondateur et directeur artistique et administratif du festival La Fête du Slip à Lausanne s’inquiète de l’avenir des festivals.

Le 28 février 2020, le premier couperet tombe, annonciateur d’une crise dont personne ne pouvait imaginer l’ampleur. Les rassemblements de plus de 1’000 personnes sont interdits, les festivals s’annulent les uns après les autres. Alors que le pire de la crise sur le plan sanitaire est désormais passé, et que la majorité des activités ont recommencé, les festivals ne peuvent toujours pas avoir lieu sous leur forme habituelle, du moins jusqu’au 31 août. Le message en filigrane est terrible. Plus que toute autre activité, les festivals sont présentés comme dangereux pour la santé publique, de véritables bombes biologiques à retardement. Dans l’attente d’un vaccin ou de la fameuse immunité collective, impossible de savoir quand les grands rassemblements pourront à nouveau avoir lieu. Et après, combien de temps faudra-t-il pour regagner la confiance du public ?

« Les festivals sont présentés comme dangereux pour la santé publique, de véritables bombes biologiques à retardement »

Tous les festivals reposent sur un équilibre financier fragile. Avec une majorité de contrats à durée déterminée, à temps partiel, des conditions salariales minimales et un niveau de stress et d’engagement intense, le turnover est élevé dans les équipes, ce qui fragilise d’autant plus les structures dans la durée. L’effondrement de l’industrie du disque a fait décoller les montants des cachets pour les concerts. La crise des salles de cinéma pousse les distributeurs à augmenter les prix des films chaque année, tandis que dans les arts visuels la rémunération des artistes devient, heureusement, incontournable. Ces évolutions importantes et justifiées conduisent à une augmentation rapide des charges artistiques pour les festivals. La crise du coronavirus préfigure une récession économique majeure qui va sans doute peser sur la capacité des bailleurs de fonds publics et privés à maintenir, encore moins augmenter, leur soutien aux manifestations. Si le pouvoir d’achat du public baisse, cela risque de réduire sensiblement les recettes de bars et de billetterie. Combien de temps encore pourra-t-on tirer sur la corde des deux côtés avant qu’elle ne cède ?

En amont de cette double crise sanitaire et économique, une lame de fond bien plus massive se fait sentir chaque année plus urgemment. La crise climatique force désormais l’humanité à revoir fondamentalement son rapport à l’environnement, à l’énergie. Déjà avant le COVID-19, lui-même symptôme de notre relation problématique à la nature, l’urgence climatique amenait les festivals à se questionner sur leur modèle qui repose largement sur le fait de faire venir des dizaines voire des centaines de personnes de toute la planète pour quelques jours. Les kilotonnes de CO2 rejetés par les vols pour les artistes, et la quantité d’énergie nécessaire pour alimenter une scène réduisent au ridicule les efforts comme les verres consignés et les offres véganes. Combien de temps encore cette hypocrisie pourra-t-elle durer ?

Face aux crises multiples emboitées que nous vivons aujourd’hui, le modèle des festivals serait-il arrivé à ses limites ? Comment continuer à défendre l’importance de la rencontre et du partage culturel en grand nombre, de la confrontation à des regards artistiques du monde entier, et des bonnes conditions pour les artistes et les collaborateurs·trices des festivals face à de tels obstacles ? Les défis et les incertitudes devant nous sont immenses. Une chose est certaine, il n’y aura pas de retour à la normale pour les festivals.

Culture Enjeu No 66, juillet 2020

Illustration: Miroir (détail), huile sur toile de José Roosevelt, 60 x 60 cm, 2004.

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