Adieu à Jean Rüf le facétieux



PAR JEAN-PHILIPPE CHENAUX

Notre confrère et ami Jean Rüf, alias RP Rouet, l’auteur de l’immortel Radical absolu, nous a quittés le 10 juillet pour un monde que l’on espère radicalement meilleur.

Né le 22 juillet 1946 à Lausanne, Jean Rüf était le fils d’Heinrich. Ce docteur en chimie de l’EPFZ a dirigé sa propre entreprise avant d’escalader l’organigramme de Bayer Suisse de la base au sommet. Retraité, il s’est lancé dans des études de physique nucléaire, puis d’astrophysique “pour comprendre l’infiniment petit et l’infiniment grand”, selon les termes d’Antoine Rüf, le frère de Jean. La mère de Jean Rüf, Violette, née Perrin, fut une grande dame de la Radio romande plus connue sous le nom de Yette Perrin. Jean Rüf obtient sa maturité à Lausanne, puis fait des études de lettres à l’Université de Genève jusqu’à la demi-licence.

Après avoir fait ses premières armes dans le journalisme à la Feuille d’Avis de Vevey (1969-1973), sous la direction d’Emile Gétaz, il est en charge de l’actualité politique vaudoise à La Tribune – Le Matin (1973-1986), où il s’occupe aussi des sports et d’une chronique de calembours intitulée « La Pirouette de Jean Rüf ». Il passe ensuite à 24 heures, quotidien dans lequel il publie également diverses chroniques (1986-1994)

En 1983, il rédige les textes de Barricatures (Ed. Tribune – Le Matin) en collaboration avec son collègue dessinateur Barrigue. 

Particulièrement doué pour la satire, il signe sous le nom de RP Rouet un Radical absolu (Oleyres, Centre de recherches périphériscopiques, 1984) qui fera grincer des dents à l’«extrême-centre» de l’échiquier politique vaudois. Pour avoir une chance d’être « radical absolu », il faut – assure-t-il – remplir une vingtaine de conditions, à savoir : être homme, peser 80 kilos nu (au minimum), n’avoir de rouge que le teint, vouloir moins d’Etat, mais en avoir le sens, prononcer des discours susceptibles de plaire à chacun simultanément (excellent) ou successivement (admissible), avoir les deux pieds (au moins) sur terre, le reste à l’avenant…

Dans la foulée de ce pamphlet humoristique, il lance un Guide de l’érecteur [sic] érigé en «Cours pratique d’instructions civiques» (1986).

Sous le nom de Jean Le Ruf, il collabore aussi avec Jean Le Roy à un recueil de « bons mots, revues de presse, extraits et ragots de la législature 1990-1994 du Grand Conseil vaudois » présenté sous le titre Fin de bail par « les parlementeurs » Gérald Bovay et Eric Rochat et préfacé par Jean Fattebert, alors président du Grand Conseil (Yens, Cabédita, 1994). Les radicaux ne lui en veulent apparemment pas trop, puisque la Nouvelle Revue de Lausanne le sollicite à deux reprises pour sa rubrique « Les 3 colonnes de… » en 1996. « Une des plus fines écritures journalistiques de Suisse romande, un humoriste vrai et un zazou de la meilleure espèce », dira de lui Gilbert Salem.

Début 1995, Jean Rüf travaille temporairement pour l’Etat de Vaud, s’occupant de la communication d’Orchidée II, plan d’économies dans l’administration et l’ordre judiciaire piloté par Jean-François Clavel avec le concours d’un consultant étranger. Il rédige à la hâte et sans les forces de travail nécessaires La Serre aux Orchidées, mensuel de quatre pages tiré à quelque 15’000 exemplaires, qui ne connaîtra que deux numéros (février et mars 1995). Ceux-ci suscitent la diffusion d’une édition pirate, un numéro 3 publié en avril, cependant que le POP lance sa propre mouture, Lacère ô z’Orchidée (mai 1995). « Jean Rüf a été embringué dans un programme impossible », relève alors le popiste Josef Zisyadis. 

Après cet épisode de 1995, Jean Rüf se retire progressivement du journalisme, se consacrant notamment à la traduction. Il rédige encore une chronique politique bimensuelle (1996), puis mensuelle (1996-1997) pour 24 heures, de savoureux billets humoristiques hebdomadaires pour Femina (« Bien ou mâle », «Le MHL, ou Mouvement de Libération de l’Homme», jusqu’en 2005), des critiques de livres qui n’ont jamais existé (avec la reproduction d’une page de couverture fictive) pour La Distinction, ainsi qu’une « Chronique lausannoise » sur la vie de la capitale vaudoise au cours de l’année écoulée pour la revue Mémoire vive (1992-2000). Il donne aussi des chroniques sur la vie du canton de Vaud à l’almanach du Messager boiteux.

On lui doit en outre un superbe Pays de Vaud : entre vignes et coteaux (Genève, Slatkine, 2003). Cet ouvrage préfacé par Emile Gardaz est enrichi de dessins, aquarelles et huiles de plusieurs artistes vaudois. Chaque district fait l’objet d’une présentation succincte par son préfet.

Domicilié à Saint-Légier, Jean Rüf y a été conseiller communal au sein du groupe socialiste (1998-2005), en charge de la commission des finances (jusqu’en 2001). Il est décédé au Mottex, site de l’Hôpital Riviera-Chablais sis sur la commune voisine de Blonay, des suites d’une longue maladie.

Il était le frère d’Isabelle Rüf, journaliste à L’Hebdo (dès sa création), à « Espace 2 », puis au Temps, et d’Antoine, lui aussi journaliste, d’abord à la Feuille d’Avis de Vevey, puis à La Liberté

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