PAR PIERRE ROTTET
Plongé dans une crise sanitaire et économique sans précédent, le Pérou se voit maintenant ébranlé par un coup de force politique, voire une tentative de coup d’Etat visant à renverser le président Martin Vizcarra, sous la menace d’une procédure en destitution menée vendredi par un groupe de congressistes pour un acte supposé de corruption. Cela à la suite de vidéos présentées le 10 septembre 2020 au Congrès, mettant en cause le président.
Sur les 130 parlementaires – tous n’étant pas présents -, 65 se sont prononcés vendredi dernier en faveur du déclenchement de la procédure de destitution. 36 ont dit non et 24 se sont abstenus. Si l’action qui s’apparente à un coup d’Etat a peu de chances d’aboutir, elle est révélatrice d’un mal profond au sein de la société péruvienne, des institutions politiques et judiciaires. Des électeurs eux-mêmes!
Le ciel est tombé encore un peu plus sur la tête des Péruviens. Une affaire rocambolesque, qui s’apparente d’avantage à un sauve-qui-peut de la part de congressistes corrompus, dont beaucoup sont sous le coup d’investigations judiciaires pour divers délits. De corruption, notamment. Et plus ! Un acte qui s’ajoute à l’instabilité politique du Pérou entre le législateur et l’exécutif, à six mois d’élections générales, convoquées il y a quelques semaines par le président Vizcarra.
Vizcarra assume la présidence péruvienne depuis mars 2018, après la démission de son prédécesseur, Pedro Pablo Kuczynski empêtré dans des affaires de corruption avérées, comme le furent avant lui durant leurs mandats feu Alan Garcia (1985-1990, malgré tout réélu pour la législature de 2006 à 2011) ; Alejandro Toledo (2001 à 2006) ; Ollanta Humala (2011 à 2016). Sans parler du dictateur Alberto Fujimori, au pouvoir entre 1990 et 2000. Tous poursuivis pour les mêmes chefs d’accusations. Pour une histoire à chaque fois de millions de dollars. Et de crimes contre l’humanité en ce qui concerne Fujimori.
La corruption… cette autre pandémie ! Le 10 septembre, devant les parlementaires, le congressiste Edgar Alarcon présente 3 enregistrements audios, gravés à l’insu des acteurs, dans lesquels le président est vu en train de manipuler des témoins dans une enquête portant sur une affaire de corruption, de favoritisme. Cela à propos de l’embauche d’un chanteur par la ministre de la culture. La justice soupçonnant un artiste, de surcroît de peu de notoriété au Pérou, d’avoir bénéficié d’un contrat de complaisance. Quelque 50’000 dollars, selon diverses sources concordantes.
Edgar Alarcon, congressiste, mais notoire délinquant, dénoncé comme tel en juillet dernier par la procureure de la République pour des délits d’enrichissements et autres méfaits durant son mandat en qualité de « contrôleur – réd. : des dépenses du pays – de la République » entre 2016 et 2017. Des faits graves, avérés et présentés par le ministère public. Ils devaient figurer prochainement au menu du parlement pour être débattus par les congressistes de la République.
Dans un message présenté le 11 septembre, le président Vizcarra n’a pas manqué de rappeler à l’opinion publique que figurait la veille à l’agenda du Parlement la seconde votation – la première ayant échoué – destinée à empêcher la candidature de personnes faisant l’objet d’une condamnation, et, partant du principe de la levée de l’immunité parlementaire pour les congressistes sous le coup de poursuites pénales.
D’où, très certainement, l’action désespérée mais sans doute préparée bien à l’avance par des apprentis putschistes, en vue d’échapper une fois encore aux sanctions. Ces derniers sont issus des rangs de formations de droites et conservatrices, de « Podemos Peru », notamment, dont deux des leaders font l’objet d’une enquête fiscales pour « lavage d’argent et appartenance à une organisation criminelle ». Mais aussi et surtout de membres du parti « Union por el Peru » (UPP), un groupement nationaliste qui milite en faveur de la peine de mort, auquel appartient justement Edgar Alarcon. L’UPP est dirigé depuis sa prison par Autauro Humala, politicien, ex-militaire. Le frère de l’ex-président Humala purge une peine de prison pour le meurtre de 4 militaires dans le cadre d’un acte de sédition en 2005.
Depuis l’an dernier, le Congrès antérieur, dissous par Vizcarra, ainsi que l’actuel, s’acharnent à boycotter la réforme politique qui vise à éviter les candidatures de personnes qui utilisent la politique pour se protéger des investigations et des procès judiciaires. C’est entre autres aussi le cas du congressiste Daniel Urresti, issus des rangs de « Podemos ». Ce dernier affronte depuis la semaine passée un nouveau jugement pour l’assassinat du journaliste Hugo Bustios, commis alors qu’il était officier des services de renseignements de l’armée.
Selon un reportage publié par « IDL-Reporteros », un groupe de journalistes de divers médias, la conspiration orchestrée contre le chef de l’Etat, préparée bien à l’avance, révèle que le président actuel du Congrès, Manuel Merino (Action populaire – conservateur), avait tenté d’entrer en contact à trois reprises avec le chef du Commandement conjoint des forces armées, le général César Astudillo. Cela dans le but de solliciter son appui et de chercher son appui pour assumer sa nouvelle fonction de président du pays. Une charge qui lui reviendrait de fait en cas de vacance du pouvoir, de destitution de Vizcarra. « Le projet vise ni plus ni moins à mettre Merino au pouvoir afin d’empêcher les élections qui se profilent en avril 2021 », affirment encore « IDL-Reportero ». Ainsi que la « vox populi »… prise en tenaille entre la peur du coronavirus, de mourir de faim. Et désormais de la crise politique !
Lundi 14 septembre, le président Vizcarra, qui a d’ores et déjà affirmé qu’il ne démissionnerait pas, aura 60 minutes comme le veut la procédure, pour s’expliquer face aux parlementaires. Tout devrait néanmoins se jouer le 18 septembre. Si le parlement obtient 104 votes sur les 130 congressistes, le débat sur la destitution pourra avoir lieu. Quant à l’approbation pour une possible vacance du pouvoir, elle nécessitera 87 voix. Fort peu probable, estiment les observateurs. D’autant moins que lundi déjà, le procureur Luis Huerta et l’exécutif ont recouru au Tribunal constitutionnel.
En attendant, des perquisitions ont été effectuées samedi au domicile de 8 personnes, citées comme témoins dans l’enquête sur les irrégularités présumées, indique le ministère public dans un communiqué.
Nonobstant ce fatras d’immondices politiques à verser dans les poubelles de l’histoire péruvienne, demeure la question que posent nombre d’observateurs à Lima. A savoir comment en est-on arrivé à destituer un congrès corrompu, pour le remplacer par le biais des urnes, par un autre plus corrompu encore. Et surtout plus éloigné, si faire se peut, que le précédent, des préoccupations du peuple qu’un SDF l’est d’un comptoir de banque.