Tribune libre – D’où vient le bien? D’où vient le mal? Qu’importe à ceux qui «savent»!


Un article refusé n’est pas d’emblée un chef-d’œuvre ; et son auteur n’est pas d’office un héros. Si j’ai proposé à Infoméduse de publier ce « refusé » – cas rare, surtout dans l’organe où j’écris d’ordinaire -, c’est que ce texte n’a pas été écrit sans « raisons »… et si les humeurs passent, les raisons restent. Elles sont, en l’occurrence, de deux ou trois ordres…  

…dont le plus prosaïque est explicite dans l’historique au début de l’article ; les autres sont implicites dans la suite de l’article. 

Sautons donc par-dessus l’explicite, et grattons sur l’implicite, qui couve sous la suite de l’article :  

L’« Institut des hautes études internationales et du développement » est au centre de la Genève Internationale. Or, plus que jamais, les mondes onusien, académique, médiatique, étatique… s’alignent les uns sur les autres… corsetés par la novlangue des « Objectifs du développement durable ». C’est patent aux tables rondes du Palais des Nations et de la Maison de la Paix… c’est grotesque aux Semaines du civisme officiel, comme celle « de la Démocratie »… c’est choquant avec l’émergence d’une presse « de qualité » officielle sous l’égide d’ex Conseillers d’Etat et d’un ex-chef du Protocole avec l’aide de la Fondation Wilsdorf… et on le voit encore cette semaine avec la table ronde de la Maison de l’Histoire sur la Genève Multilatérale. 

Ne risque-t-on pas d’aboutir à une classe d’experts ayant des réponses toujours meilleures à des questions toujours plus fausses ? Des livres sur la Société des Nations l’avaient déjà noté (surtout des romans) : seul(e)s les interprètes et les bibliothécaires échappent à ce formatage, dans les temples des bonnes causes. Ainsi, le livre de Pauline Liétar « L’Onu : la grande imposture » – pour ne prendre qu’un exemple – est bien à la bibliothèque de la maison, mais n’a jamais eu l’honneur d’un débat comme on en fait pourtant souvent au Palais ou à l’Institut. De même et aussi à Genève ces jours, Patrick Desbois – le défenseur des Yézidis – prêche dans le désert, quand il dit que le « plus jamais ça » est un slogan trompeur. Et donc, quand on choisit une nouvelle « tête » pour l’Institut, on ne va pas prendre un profil à la Régis Debray ni à la Blandine Kriegel (sans parler d’un Mathieu Bock-Côté)… même pas à la Jacques Freymond : les libres penseurs ont-ils tous atteint l’âge de la retraite ou du tombeau ? 

Tous ces temples du bien et du vrai – le Palais, l’Institut, l’Uni, la Chancellerie, sans oublier “Le Temps” et la Tour Télé, sont peuplés de gens « sérieux » qui sont « responsables » de programmes constructifs… or rien n’est plus « déconstructeur » que les questions sans réponse qui s’accumulent à nos portes ou sur nos têtes à ce tournant du Millénaire : les poser n’est pas « sérieux ». L’interview fictive de l’article « refusé » permet de mettre dans la bouche d’une personne « sérieuse » des questions que les gens sérieux ne peuvent – en principe ou par principe – pas se poser. En respectant juste un tabou : demander « Pourquoi le Mal revient après trois quarts de siècle de propagande permanente pour le Bien ? »… suggérerait une question pire encore : « Nous qui sommes-nous les anges gardiens de l’humanité et les éclaireurs de la civilisation… sommes-nous partie de la solution ou du problème ? ». 

A ne chercher les réponses que là où on est sûr de trouver d’avance la lumière, on est plus Oin-oin que Galilée ou Jaurès. La somme de toutes les vérités savantes vaut-elle une miette de « parler vrai »?

Boris Engelson, journaliste, Genève

Ecoles… médias: le «bon ton» est-il «bon»?

Voilà plus d’un an que l’«Institut des hautes études internationales et du développement» s’est choisi une nouvelle «tête», en la personne de Marie-Laure Salles, qui a fait savoir alors qu’elle ne dirait rien aux médias avant d’être directrice effective ce premier septembre. Or, depuis lors à ce qu’il semble, seul deux journaux ont trouvé le sésame «de bon ton». Alors, tentons à distance une interview fictive… de «mauvais aloi».

L’Institut, en tous cas, ne répond plus à nos questions depuis pas mal de temps. Malgré ce silence, un bref portrait de la nouvelle directrice est paru dans (le même journal il y a un an). Le corps de presse du Palais des Nations – qui invite souvent les «personnalités» à des causeries – n’a pas vu cette fois en l’Institut une priorité. Madame Salles a parlé aux professeurs et aux étudiants… dont une ou un a ouï «esprit critique»… c’est déjà ça. Pour en savoir plus, on en est réduit à lire «Le Temps» et «La Tribune», qui ont des journalistes «de qualité», nul n’en doute… mais la qualité a – par définition – des normes.

Sorties sous imper

«La Tribune» a donc mis en valeur la «formation d’élites responsables» rêvée par la Directrice: ça tombait mal… la campagne sur des entreprises «responsables» montre ces jours le double tranchant du terme… quant aux «élites», France Culture vient de les envoyer au tapis en quatre livres («The Tyranny of Merit», «The Meritocracy Trap», «Head Hand Heart»… tous issus de «The Rise of the Meritocracy»). Dans «Le Temps», madame Salles a bien passé son examen d’entrée: elle a cité Hanna Arendt à deux reprises… un must dans ce milieu; et aussi Marcel Mauss, qui fait plus neutre, ces temps, qu’un Pierre Bourdieu décrié par Gérald Bronner; un clin d’œil à William Rappard lui a permis de grimper d’emblée sur les épaules de Jacques Freymond sinon de Paul Alexis Ladame. Bref, «elle traverse entre les clous» – comme dirait Régis Debray – et se met à l’abri des orages d’opinion. Or madame Salles n’est pas tombée de la dernière pluie: au vu de son curriculum vitae, elle a sans doute plein de choses à dire; mais au vu de ses contacts «élitaires», elle ne peut sans doute pas dire grand-chose. Alors, disons à sa place ce que son horreur du «sloppy» (voir Tribune du 1er octobre) l’a empêchée de mettre en toutes lettres, à propos du «logiciel de formation» à «changer».

Que nous reste-t-il de nos vingt ans?

Première question: les «valeurs» de la «communauté internationale» passent-elles le test – trois quarts de siècle après leur Déclaration – de «l’esprit critique» vanté cette année à la rentrée?
«Si, il y a vingt ans du temps de mes études, on m’avait fait faire une dissertation sur ce thème, je n’aurais sans doute pas imaginé les défis auxquels les diplomates ou politologues allaient être confrontés en 2020. Des horreurs, des reculs, on en a connu de tous temps, et même l’esprit des Lumières – qui depuis deux siècles inspire les espoirs sinon toujours les actions – a connu ses hauts et ses bas et ses zones de refus. Pourtant, que ce soit dans sa version socialiste ou sa version libérale, qu’on ait cru que la démocratie était source de la technique ou l’inverse, la «société» croyait au progrès. Puis-je ce jour ici vous tenir encore un discours optimiste, même avec les réserves de la fameuse citation attribuée à Antonio Gramsci sur le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté? C’est mon devoir… c’est le devoir de notre Institut… c’est la raison d’être de la Communauté internationale de croire que les bonnes volontés et l’analyse savante ne sont pas vaines en ce début d’un Millénaire aux «savoirs» et aux «moyens» plus grands que jamais.

A qui la faute ?

Deuxième question: ce «devoir» d’optimisme n’est-il pas tenu en échec par des obstacles «systémiques»? Contre les anciens démons, il était facile de s’orienter: le colonialisme ou le totalitarisme étaient des cibles sans masque aux bases claires qu’on pouvait saper. De nos jours, n’est-ce pas dans – sinon de – l’excès du «bien» que vient le «mal»: trop de production, de population… de consommation… et de susceptibilités (nationales, sociales, genrées)?
C’est vrai qu’un grand désarroi règne parmi les professionnels chargés du «maintien de la paix», de la «transition démocratique» ou du «développement» économique… trois domaines où nous sommes censés fournir des réponses. Le «plus jamais ça» qui est revenu dans la Région des Grands Lacs ou dans les Balkans ne s’explique pas par un simple «coup» de minorités égoïstes ou incultes. Je connais bien les Balkans, de par mon histoire personnelle: la Yougoslavie a vécu dans le culte factice du respect… la veille de l’explosion, personne n’imaginait une guerre possible… le lendemain, les couples mixtes étaient acculés au divorce: les bonnes intentions de Roméo et Juliette ne furent pas d’un grand secours.

La nuit, tous les chats sont gris

Troisième question: toutes les institutions de haut savoir clament désormais que le travail à distance est une «opportunité» de modernisation. Mais la conversion au numérique ne risque-t-elle pas d’être un tombeau, pour les savoirs pointus qui prolifèrent en ligne?
C’est vrai qu’à l’écran, traits de génie ou prêt à penser se noient tous deux dans la masse de l’information: c’est ce qui a tué les médias de jadis, même les plus cotés. A nous de vacciner l’Institut contre le «clonage» global qui rend tout visage gris: je ne prétends pas que mon «Harvard english» formate moins que le «Wall Street english», et l’Esprit de Genève a encore de la sève à puiser dans le terreau francophone – protestant ou non – qui a fait sa force jusqu’à la Seconde Guerre.

Que sait le roi sans son fou?

Quatrième question: si les «têtes pensantes» de l’Institut et reconnues comme telles jusqu’à nous – de William Rappard à Philippe Burrin – n’ont pu éviter ces dérives, quel est votre secret pour y remédier?
Mes prédécesseurs étaient bien sûr, encore plus que moi, conscients des lacunes à combler et des défis pour l’avenir: mais dans un monde engoncé dans la stabilité ou assoupi par le confort, leur force de proposition était entravée. Le changement de «paradigme» venu de l’extérieur – d’un être encore plus minuscule que celui du film Ratatouille -, bref, un monde qui «ne sera plus comme avant», nous met au pied du mur: pour être un centre de formation efficace, le seul prestige risque de ne pas durer. Or, desserrer l’étreinte du prestige, c’est prendre ses distances avec l’officialité onusienne et helvétique… chercher, dans les études, des contre-pouvoirs et non des marche-pieds. C’est ça notre défi à nous… celui de l’Institut et de ses chercheurs et étudiants… mais aussi celui de la Communauté internationale».

Voilà comment on pourrait voir le monde post Covid du haut de la Maison de la Paix… mais du moment que les «hautes» écoles et la «bonne» presse ont, depuis le rachat du «Temps», le même «business model», c’est à la «mauvaise» presse de veiller à n’être pas trop «bon public». B.E.

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