Tribune libre – Nos lois sont-elles faites pour favoriser les agresseurs ou pour protéger les victimes?


Lors d’une table ronde, organisée le 11 mars 2021 à l’Université de Genève, le public a appris l’adoption d’une Convention très importante de l’Organisation Mondiale du Travail (OIT), la Convention 190 sur la question de la violence et le harcèlement au travail.

Bien que constituant une aubaine pour les employés, elle avait pourtant été passée sous silence. Jusque-là peu de personnes parmi le public en avaient eu connaissance.

La table ronde a débuté par le rappel, à juste titre, que le COVID n’est pas le seul fléau de santé publique et que le monde du travail présente aussi des problèmes de santé. C’était de la musique aux oreilles des victimes qui attendaient avec impatience des réponses à leurs expériences traumatisantes de harcèlement, de procédures judiciaires sans fin, de déni de justice, ou tout simplement d’inaccessibilité à la justice. Ou, encore des jugements incompréhensibles, parfois contradictoires. Dans les situations de violence, la neutralité ou des jugements ambivalents, favorisent les agresseurs. Les victimes ne peuvent même pas crier «Injustice ! ».

La Directrice du département des conditions de travail et de l’égalité de l’OIT a relevé que cette Convention a été adoptée en 2019 par une grande majorité de pays, dont la Suisse. Par la suite, la représentante du SECO nous a informés que la Suisse n’a pas encore décidé si elle ratifiera la Convention en raison d’éventuelles incompatibilités avec le droit suisse. Le sujet est en cours d’analyse et de discussion. Néanmoins, en tant qu’auditrice et victime, j’ai été heureuse d’apprendre que des travaux sont en cours dans les coulisses. Rien n’est plus douloureux pour les victimes, les lanceurs d’alerte, que de crier dans le désert et de faire face à l’indifférence de la société.

Après cette première partie informative, les auditeurs ont eu droit à différents exposés de professeurs et de spécialistes concernant des éléments du droit suisse. Ces personnes n’ont pas émis d’avis critiques, ni mis le doigt sur les lacunes de la législation en cas de procédure judiciaire. Un élément qui explique pourquoi nous avons tant de problèmes de harcèlement dans le monde professionnel. Seule, une intervenante a eu le courage d’aller dans le concret et de parler des réparations injustes, des coûts exorbitants et de la lenteur du système en évoquant le cas d’une victime. Pour ce faire, elle a dû transgresser les conditions fixées par les organisateurs, à savoir : ne pas évoquer les cas individuels.

La douche froide a été la séance de questions-réponses destinée au public. Une question émanant d’une auditrice a été censurée parce qu’elle portait sur un cas précis, le mien. Question concernant un professeur de droit du travail de l’Université de Lausanne, qui se trouvait être l’un des experts invités. « Comment expliquer que ce professeur, expert en droit du travail, n’ait pas vu qu’une victime avait été harcelée par son employeur et qu’il ait nié pendant 10 ans le harcèlement ? », demandait-elle. Harcèlement pourtant vu et reconnu par tous les avocats et juges ayant examiné le cas. En 2020, après 10 ans de procédures judiciaires, lourdes et coûteuses, l’employeur a enfin été reconnu coupable d’un harcèlement grave et sournois. Le procès continue encore !

La question de cette auditrice était légitime et c’est une question qui me hante depuis des années. En effet, les professeurs de droit ne devraient-ils pas être au-delà de toutes les manipulations et manœuvres dont certains avocats font usage pour gagner leur procès ? Un procès ne devrait pas être un match de tennis mais une recherche de la vérité, une occasion de punir les agresseurs pour mettre fin à la violence. Un professeur de droit doit donner l’exemple, voire incarner l’éthique. Comment arrêter la violence si ceux qui sont en mesure de le faire se rendent complices de la violence en la défendant ? La question est fondamentale. Les avocats ont-ils le droit de mentir pour défendre leurs clients ? Si oui, comment la justice peut-elle fonctionner, et la violence cesser, si tout est basé sur le mensonge ?

Après cette occasion manquée, en réponse à d’autres questions, nous avons eu droit à une série de contre-vérités selon lesquelles le système judiciaire suisse fonctionnait parfaitement. Que les avocats sont tous honnêtes et n’utilisent pas de manœuvres dilatoires pour fatiguer les victimes. Que les victimes ne peuvent pas voir l’ensemble du tableau. Que le système est impartial aussi bien en ce qui concerne les juges que les avocats et n’est soumis à aucune influence politique ou économique. Aucun des experts n’a voulu évoquer le fait que les juges sont soutenus par des partis politiques et qu’il existe des situations de conflits d’intérêts. Par exemple le fait d’être professeur de droit, de publier des manuels de droit utilisés par les juges comme opinion experte, et en même temps de pouvoir travailler pour des multinationales. Ou, qu’en cas de harcèlement, est-ce la victime qui doit être démise de ses fonctions, plutôt que le harceleur ? Or, ce fut la position adoptée par ce professeur de droit lors de mon procès.

L’erreur de la table ronde a-t-elle été d’ouvrir le débat au public sans donner aux victimes l’occasion de faire part de leurs expériences et de la manière dont elles vivent l’injustice et l’iniquité des lois ? La question à se poser est de savoir si nos lois sont faites pour favoriser les agresseurs ou pour protéger les victimes.

En bref, aussi décevante qu’ait été cette table ronde, elle a permis de faire ressortir un point important. Il n’y a rien à espérer, et le changement n’est pas à l’horizon.

Yasmine Motarjemi, Nyon

Photo ©2021 Laurette Heim

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