Curiosité dans ma ville, quand on se met à chercher des vendeurs de muguet à 14 h… et qu’on fait chou blanc…


PAR YANN LE HOUELLEUR

Quand cet article aura paru dans le prochain numéro de Franc-Parler numérique, il aura coulé beaucoup d’eau sous les ponts de la Seine, que ce soit sous la « passerelle des Arts » ou sous le pont d’Asnières que j’aime tant car, si j’ai bonne mémoire, Claude Monet l’avait peint, un train éjectant des bouffée de fumée argentée sur fond de ciel bleu. Mais un « fait divers » (en réalité, un « fait d’hiver » tant il faisait froid ce jour-là) a engendré une amorce de réflexion, dans le droit fil d’une rencontre en plein 6ème arrondissement quelques jours auparavant.

Me voyant dessiner, « un compatriote breton » avait engagé la conversation, sur un ton affable. Curieusement, il m’avait dit : « Ce qui m’inquiète, dans cette crise du Covid, c’est tout l’argent que l’Etat nous a donné pour ne pas travailler. Je connais des personnes qui, voyant tomber cette manne dans leur compte bancaire, sont parties en vacances, et je me demande comment elles vont renouer avec le monde du travail maintenant. »

J’ai promis de ne pas faire trop de politique, en tout cas partisane, dans Franc-Parler. J’essaierai de tenir parole. Mais quelles que soient ses convictions intimes, on ne saurait considérer cette tragédie de la Covid comme une parenthèse. C’est à la fois un pas de géant vers un futur très incertain mais dont on peut croire qu’il soit toujours davantage dénué d’humanité dans les relations humaines, tant de « petits génies » travaillant sur des projets liés à l’intelligence artificielle qui en fin de compte rendront nos relations au quotidien plus arides, plus formatées, plus formelles…

N’oublions pas que nous avons au-dessus de nos têtes « la double personnalité » d’un homme qui aime les bains de foules, qui semble apprécier d’être ovationné, mais qui avait promis de faire de la France une start-up alors que nombre de ses universités, commissariats et lieux public sont dans un état de dégradation avancée…

En réalité, la France, mon pays, que j’adore, a perdu beaucoup de son humanité dans les relations humaines.

Je me réfère, humblement, à une universitaire devenue influente par la justesse de son regard sur la société, Barbara Stiegler. Elle enseigne à l’Université Bordeaux-Montaigne. Elle s’intéresse notamment aux politiques sanitaires. Auteur d’un pamphlet cinglant, « De la démocratie en pandémie », elle s’inquiète des menaces qui planent sur notre République, avec une classe politique absolument déconnectée (en général) de la réalité quotidienne des gens. Le parlement devient une chambre d’enregistrement. Des lois qu’on pourrait qualifiée de scélérates sont imposées pour une prétendue protection des Français qui vivent non seulement dans un climat d’insécurité physique mais qui vont affronter, au fil des mois prochains, un désenchantement économique lourd de conséquences. Elle a sa recette « bien à elle » : « Les solutions au malaise sociétal » (qui s’assimilent toujours davantage à une gangrène) « peuvent se concevoir, en premier lieu, à l’échelle locale ». Si nous avons conscience la gravité de la situation, nous devons, répète inlassablement Barbara Stiegler dans les interviews qu’elle accorde volontiers aux médias les plus divers, repérer autour de nous des individus capables d’entrer avec nous en résistance, sensibilisant d’autres personnes à des causes urgentes.

Barbara Stiegler, qui n’est pas économiste de formation mais avant tout philosophe et chercheuse, pour un salaire de 3.000 euros avec d’écrasantes responsabilité, esquisse le scénario suivant : « Après avoir déversé tant de milliards d’euros pour secourir des entreprises mais aussi pour acheter la paix sociale, le gouvernement va se mettre à nous demander des comptes et à serrer les boulons, notamment dans le budget de la santé publique dont elle ne manque pas de dire qu’il sera en nette diminution l’année prochaine…

Joyeuse perspective !!!

Fort curieusement, dans ma ville, Gennevilliers (photo ©2021 Yann), une des 36 communes des Hauts-de-Seine dont la population avoisine 53.000 habitants et où sévit pourtant un chômage effroyable, il m’est arrivé « une aventure déconcertante ». Travaillant tard la nuit, il m’arrive de me lever tout aussi tard. Ce 1er mai, je m’étais fait un devoir d’offrir un brin de muguet à une personne, habitant à proximité de la mairie, qui endure des conditions de vie très rudes. En toute logique, je pensais qu’à 14 h, il y aurait encore des stands de vente de muguet dans certains quartiers de la ville. Avec mon colocataire, nous nous sommes mis en quête d’un point de vente… Et nous n’avons rien trouvé. Pourtant, le soir au journal de France 3, il était amplement question de ventes de muguet record à Paris… et le gouvernement avait autorisé la vente de muguet par des particuliers dans les rues malgré la crise sanitaire sévissant (et pour un certain temps encore).

Rue Près-du-Centre-Ville,
photo ©2021 Yann

Place Grandel, le fleuriste avait fermé ses portes alors que 14 heures s’affichaient au clocher de l’église Sainte Marie Madeleine. Un seul commerçant était resté ouvert, sur cette place restée charmante malgré la bétonisation qui partout va bon tram… pardon, bon train!

En l’occurrence, un magasin Leonidas qui hélas n’accueillait que trop peu de monde. L’idée me vint à l’esprit que ce commerçant avait peut-être du muguet offert à ses clients. Intuition avérée. J’achetai une petite boîte de ballotin et le patron de la boutique, fort aimablement, glissa un brin de muguet, mais artificiel, dans le nœud du ruban qui ornait la petite boîte gourmande…

Ainsi étais-je en mesure de tenir la promesse que je m’étais faite… et la dame en question eut la double joie de recevoir tout à la fois du chocolat et du muguet.

J’ai de la peine à croire que dans une ville aussi frappée par le chômage il n’y avait personne vendant du muguet en début d’après-midi, car tout le monde n’est pas nécessairement levé au premier chant du coq…

J’avoue qu’entre autres soucis, des valeurs en perdition me « travaillent » l’esprit : le goût du travail bien fait,  la revalorisation des compétences artisanales, les relations nécessairement nouvelles entre commerçants et consommateurs, et surtout les risques d’une certaine paresse intellectuelle (on va me traiter de « réac », je le crains) découlant de la toute puissance acquise par les logiciels, algorithmes et autres solution numériques…
Les machines ne sauraient penser à notre place. Le muguet ne saurait devenir une « marchandise » en grande partie virtuelle… (Merci quand même à tous les amis qui m’ont transmis des vœux de « bon 1er mai » sous forme de texto avec pièce-jointe !)

Après avoir visité « la petite dame si gentille » dont je ne saurais dévoiler l’identité, j’ai fait un croquis, malgré une fine pluie et une humidité infecte, à l’abri, tout à l’entrée d’une banque…

Photo ©2021 DR

Et j’ai fait de super belles connaissances, des discussions d’une absolue richesse. Un jeune garçon, parti se balader avec une bande de copains, est venu me dire : « Je kife tes dessins ». Je lui ai demandé ce qu’il comptait faire dans la vie, plus tard. Il m’a répondu, sans hésiter : « Je veux faire des choses artisanales qui demandent aussi de la force physique. Des travaux d’homme… »

J’avoue que sa répartie m’a beaucoup surpris et amusé… Beaucoup de jeunes rêvent de faire de tels métiers, qui réclament le goût  – effectivement –  de l’effort, tel ce garçon de dix ans, Nordine, qui rêve de devenir médecin… en ajoutant que « c’est par désir d’aider les autres ». Voilà qui redonne de l’espoir!

Gennevilliers, rue du Professeur-Calmette. Dessin ©2021 Yann Le Houelleur

L’auteur est journaliste à Paris, fondateur du journal numérique Franc-Parler.

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