Cette classe d’avions si particulière que l’on nomme les intercepteurs


Cet article est le deuxième d’une série consacrée aux F-35 voulus par la Suisse.

PAR BERNARD ANTOINE ROUFFAER

L’armée suisse, au début du processus qui devait aboutir au choix du F-35, émit le désir de posséder un appareil capable d’assurer la défense aérienne du pays, ainsi que ce que l’on appelle, en temps de paix, « la police du ciel ». C’est-à-dire décoller rapidement, monter vite à l’altitude requise, repérer la cible désignée par le contrôle au sol, l’intercepter pour le détruire, ou, plus pacifiquement, connaître la nature de ses difficultés.

La grande peur du « bombardier » naquit une nuit de janvier 1915, quand la grosse masse d’un Zeppelin allemand, un dirigeable gonflé à l’hydrogène, vint rôder au-dessus de la ville anglaise de Great Yarmouth, lâchant quelques petites bombes et faisant gronder ses moteurs dans les nuages ; le 30 mai, la capitale britannique elle-même était attaquée à la bombe incendiaire. Pour la première fois depuis la Guerre Civile anglaise, au XVIIe siècle, Londres se retrouvait en première ligne. Alors que des millions d’obus hachaient la jeunesse européenne sur les petits espaces des champs de bataille de la Première Guerre mondiale, les civils, loin à l’arrière, commencèrent à comprendre qu’ils n’étaient plus intouchables. Ces premières frappes aériennes ne représentaient qu’une charge d’explosif insignifiante, mais le public, la presse comme les autorités comprirent qu’il fallait tenter de s’en prémunir. C’est ainsi que naquit cette classe d’avions si particulière que l’on nomme « les intercepteurs ».

Les premiers furent des petits biplans Sopwith Pup retirés du front. Les pilotes, lancés dans des vols nocturnes à la recherche de leurs grosses proies, avec leurs seuls yeux pour outil de repérage, purent établir la liste des principaux obstacles qu’ils devaient surmonter : voler de nuit ou par mauvais temps, monter rapidement, trouver des cibles furtives, rattraper des avions rapides – car des avions à grand rayon d’action remplacèrent rapidement les dirigeables pour les raids sur l’Angleterre -, attaquer leurs grosses proies avec leurs armes de bord et se montrer capables de leur infliger des dégâts importants. Dans leur tâche d’interception, disposer d’une grande maniabilité, avantage souvent décisif pour les avions du front, ne servait pas à grand chose. Mais il fallait posséder un moteur puissant, et ne pas hésiter à alourdir son avion avec un armement plus conséquent. Il était nécessaire, aussi, de pouvoir travailler en liaison avec des observateurs au sol, susceptibles de repérer les escadrilles ennemies et d’alerter et guider les avions d’interception. En outre, connaître les endroits défendus par l’artillerie antiaérienne, ou les barrages de ballons, était vital. Les principes cardinaux d’une défense aérienne étaient ainsi posés. Ils ne devaient pas changer jusqu’à aujourd’hui.

Dans l’entre-deux-guerres, les théories du général italien Douhet, le concept du Schnellbomber et la crainte d’une guerre des gaz dirigée contre les habitants des grandes villes, poussèrent les autorités militaires à créer des concepts de défense innovants, mélangeant moyens d’observation, artillerie et aviation.

Du fait des progrès de la technique dans le domaine des moteurs, des canons de bord, des roquettes, des missiles, des systèmes de guidage, des radars, la liste des intercepteurs mis en service dans les armes aériennes des grandes puissances est longue. Il faut citer, entre autres, le Boulton Paul Defiant et sa tourelle si peu pratique ; le Lokheed P-38 Lightning au fuselage bipoutre, qui tua l’amiral Yamamoto ; le Nakajima Ki-44 Shoki, qui défendit les raffineries de Java et Sumatra, puis le sol même du Japon, face aux assauts aériens alliés ; le Bell P-39 Airacobra, son si secret compresseur et son lourd canon de 37 mm ; le Messerschmidt Me-262, premier appareil à réaction opérationnel ; le Focke-Wulf Ta-152 H1, redoutable intercepteur de haute altitude ; le Messerschmidtt Me-163 Komet, premier avion-fusée; le Convair F-102 Delta Dart, armé du missile AIM-26 nucléaire; le Sukhoï Su-9, l’un des premiers intercepteurs soviétiques armés de missiles air-air, l’un d’eux fut impliqué dans la destruction de l’U-2 de Gary Powers; le Dassault Mirage III et son missile R-530; l’énorme Tupolev Tu-128, fait pour patrouiller au-dessus des glaces de l’Arctique; le Sukhoï Su-15, et son puissant radar de tir, capable de neutraliser les contre-mesures électroniques de sa cible; le Mikoyan-Gurevitch MiG-25, ses quatre missiles R-40 de 80 km de portée et sa vitesse de Mach 3.

Un tel type d’avion, intégré dans un système de défense complexe, comportant des observateurs au sol, des radars, de l’artillerie antiaérienne, des missiles antiaériens (SAM), un centre de coordination et de commandement, utilisant lui-même des canons de bord lourds ou des missiles antiaériens à la portée de plus en plus longue, n’a, évidemment rien à voir avec un avion d’attaque au sol, destiné à attaquer des batteries d’artillerie ou des chars sur le champ de bataille, ou un appareil de pénétration, chargé de s’infiltrer dans les failles d’un système de défense pour porter une charge mortelle sur un objectif stratégique situé loin à l’intérieur du territoire ennemi.

Or, cet avion de pénétration, cet appareil capable de s’en prendre au cœur industriel et militaire d’une nation voisine… c’est bel et bien celui que l’armée suisse vient de choisir en lieu et place de l’intercepteur défensif voulu originellement par son état-major.

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