Comment, de contrevenant aux ‘ règles de la circulation routière’, je suis passé à un statut de criminel


Notre auteur, Pierre Rottet, a été condamné cet été à une amende de 400 francs par le ministère public de l’Etat de Fribourg, en sus des frais de procédure, pour une bénigne infraction aux « règles de la circulation routière ». Il raconte sa mésaventure de citoyen de la capitale fribourgeoise ayant fait “le malheureux choix de troquer son amende pécuniaire en heures de travail. Supposément d’intérêt général”.

PAR PIERRE ROTTET

Seize heures ! Dans le cas présent ! Étalés sur deux jours… ainsi que m’y autorise une ordonnance relative à l’exécution des peines et des mesures du canton de Fribourg (OEPM). Mal m’en a pris.

Dans une ordonnance pénale du 25 mai 2022, le ministère public, par son procureur LM, condamne le prévenu, en l’occurrence votre serviteur, pour « inattention et perte de maîtrise » de son véhicule. Les faits remontent à fin août 2021 à la sortie d’un parking. Privé ! Cela à la suite d’un brusque freinage et donc un mini dérapage, qui devait l’amener à heurter un objet, propriété du parking collectif, mais sans conséquence, comme énoncé dans sa « condamnation ». Un freinage de son véhicule, grâce à ses réflexes, afin d’éviter une collision frontale avec un automobiliste indélicat. Dont l’intention manifeste était de gagner du temps en entrant par la porte de sortie dudit parking. Portes d’entrée et de sortie du garage, dit en passant, ouvertes au tout-venant depuis plus de deux ans en raison de négligences notoires de la régie en charge de l’importante place de parcs sur 5 étages.

PJR, de son prénom figurant sur le registre de l’Etat civil depuis sa naissance, a fait l’amère expérience de ce troc, en effectuant les 30 juin et 1er juillet dernier les 16 heures d’un supposé « travail d’intérêt général » (TIG). Dans l’un des six lieux imposés par le Service de l’Exécution des sanctions pénales et de la probation (SESPP) de l’Etat.

En l’occurrence et dans le cas présent, une boutique de fripes de seconde main à Fribourg, ce que le prévenu ignorait au moment d’accepter un « travail d’intérêt général ».

Seize heures ! Les plus longues jamais vécues dans ma vie ! Les minutes paraissaient des heures, et les heures, des complices, qui n’en finissaient pas de finir de mourir, avec les aiguilles d’une horloge sans état d’âme qui prenaient plaisir à musarder en tournant, dans leurs longues montées et descentes du cadran. Lequel grossissait à mesure que les heures ne passaient pas. Il y avait quelque chose de vicieux dans cette immense horloge, qui semblait me narguer, moi qui de ma vie n’ai jamais porté une montre. Inutile objet pour quiconque ne calcule jamais son temps dès lors que le travail le passionne. Une expérience qui m’a permis de me demander ce que je faisais là, mais surtout de découvrir une notion jusqu’alors inconnue: l’ennui !

A en croire la définition du dictionnaire, l’expression “intérêt général” désigne « les intérêts, valeurs ou objectifs qui sont partagés par l’ensemble des membres d’une société. Elle correspond aussi à une situation qui procure un bien-être à tous les individus d’une société… ». Je doute que passer 16 heures à remettre par ordre des tailles des pantalons ou des vêtements ou encore reboutonner des chemises puisse s’apparenter à ce que je pensais être un travail d’intérêt général. 

PJR s’en étonne dans une lettre adressée au procureur LM et au service de l’exécution des peines et des mesures du canton de Fribourg (SESPP), début en août. Il émet de sérieux doutes. « En faisant le choix de m’acquitter du paiement de mon amende de 400 francs en le substituant par un « travail d’intérêt général », le 30 juin et 1er juillet dernier, je pensais me rendre utile à quelque chose d’un peu « noble », à des projets de sociétés tellement nombreux aujourd’hui. Le social, l’environnement… Et j’en passe ! ». 

« Las, peut-on lire dans sa lettre, je ne me suis jamais senti aussi inutile durant ces deux journées…. Ce qui, dit-en passant et en insistant sur ce point, m’a fait regretté de ne pas avoir payé les 400 francs de ma condamnation plutôt que de faire le choix de la payer, ‘très très chèrement’, à vrai dire, par un travail supposément d’intérêt général ».

Une série de questions sont ensuite adressées au procureur en question et au SESPP. Dont celle-ci : « Pensez-vous que renouveler le classement par tailles de pantalons et de boutonner et reboutonner des chemises tout au long de ces deux journées puissent sembler s’apparenter de près ou de loin à un « travail d’intérêt général ?» Par extension, est-il conforme à ce qu’attend la société, représentée par votre autorité, de dicter des amendes payables par un supposé « travail d’intérêt général », qui n’en est visiblement pas un ? ». La réponse se fait toujours attendre à ce jour.

Par contre, le 9 juin 2022, une lettre lui signifie son obligation de faire son choix dans l’une ou l’autre des 6 enseignes pour effectuer son travail supposé « d’intérêt général ». Le pli postal est signé G. K. « Agente PMO, criminologue ». 

Criminologue ! Selon la définition qu’en donne le « Larousse », le ou la criminologue, autrement dit ce qui est lié à la criminologie, n’est autre que « l’étude scientifique de l’ensemble du phénomène criminel ». On reste ébaubi devant tant d’audace et de récupération du vocabulaire de la langue française. De contrevenant aux ‘ règles de la circulation routière’, ‘jugé’ comme tel, je passe à un statut de criminel. De quoi ajouter une ligne à mon CV déjà fort richement étoffé…

“Stagiaire” d’intérêt général dans une boutique de fripes de seconde main: notre auteur Pierre Rottet en pleine besogne. Photo © 2022 Laurette Heim

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