Démocratie, le leurre et le beurre


PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Les éloges après le cauchemar. Mme Keller-Sutter affichait une mine réjouie à Washington où elle a été adoubée comme une bonne élève par ses pairs anglo-saxons. «Les autorités étrangères ont reconnu dans une large mesure que, face à une situation complexe, la Suisse a trouvé une solution permettant de garantir la stabilité financière à l’échelle nationale et internationale», souligne le communiqué du Département fédéral des finances après les réunions du FMI et des ministres des Finances du G20.

Il n’empêche que le visage décomposé de la conseillère fédérale restera à jamais imprimé dans le souvenir collectif. C’était au soir du grand déballage aux Chambres dans l’affaire UBS-Credit Suisse. La bouche crispée sur un insondable mystère, Mme Keller-Sutter quitte l’enceinte du parlement au milieu d’une forêt de micros. Elle prétexte son imminent départ à Washington pour s’enfermer dans le mutisme et filer… à l’anglaise.

Sérieusement envisagée, une commission parlementaire pourrait-elle apporter la vérité et surtout la sérénité? Le mal est profond. En l’état la Chambre du peuple a désavoué le gouvernement pour rien. A la fin du jour le plus long, les députés sont repartis la queue entre les jambes. Rien à faire, les dés étaient pipés, l’ « élite » économique et politique avait décidé à l’avance que le ruineux plan financier qu’elle avait élaboré pour sauver les apparences dans l’affaire de la faillite Credit Suisse ne serait pas remis en question.

Vers quels abîmes la dérive des institutions entraîne-t-elle la démocratie? D’une mesure d’exception à l’autre, les peuples cultivent leur leurre, les Princes font leur beurre.

En Italie, le gouvernement italien décrète l’état d’urgence pour endiguer le flux de migrants. En d’autres termes, il pourra mener la politique qu’il veut, se passant de l’autorisation du parlement, même si la loi n’est pas respectée.

En France la Première ministre a recours à l’article 49.3 de la constitution pour faire adopter le projet de loi sur la réforme des retraites. Cette mesure permet au gouvernement d’adopter des ordonnances dérogeant à la législation en vigueur.

En Suisse, il faut se rendre à l’évidence. N’en déplaise à certains députés pour qui le système politique reste enviable, une page s’est tournée. Le parlement ne donne plus l’image de cette « autorité suprême » voulue par la Constitution.

La crise du coronavirus avait déjà accentué l’immense malaise. Sur le moment, le gouvernement a pu imputer à la nécessité d’une gestion sanitaire efficace les pouvoirs extraordinaires qu’il s’était octroyés. Convaincue qu’il s’agissait d’un moindre mal, une grande partie du peuple a joué le jeu. Mais elle peut rectifier le tir. Un référendum ayant abouti, il lui incombe le 18 juin prochain de lever les mesures liberticides. L’occasion ou jamais de remettre l’église au milieu du village. Sinon qui le fera?

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Un commentaire à “Démocratie, le leurre et le beurre”

  1. J.-V. de Muralt 17 avril 2023 at 15:38 #

    Très bon article qui dit tout ce qu’il y a à dire. Tout de même incroyable que dans aucun organe de la grande presse, et bien entendu ni à la radio ni à la télévision on ne puisse lire ça.

    Cette opération n’était pas nécessaire. Le CS n’était pas au bord de la faillite. Il n’y avait pas de bankrun sur le CS. Il fallait laisser travailler Ulrich Körner et la banque serait redevenue profitable en 2024. Et si on pensait qu’on était en Zugzwang, on pouvait très bien annoncer solennellement, pour rétablir la confiance, que la BNS et la Confédération soutiendraient CS au besoin. Ca aurait été crédible et ça aurait suffi. Mais le CS pouvait parfaitement rester une banque indépendante. Il était parfaitement inutile de la faire racheter de force par UBS.

    La vérité, et cela tout le monde le sait, c’est qu’on a dramatisé et qu’on a fait une campagne médiatique monstre de dénigrement du CS, selon le principe, si tu veux noyer ton chien, dis qu’il a la rage, pour saper le plan de redressement d’Ulrich Körner (qui n’avait aucune responsabilité dans toutes les folies qui ont été commises par tous ces incapables depuis 15 ans, nota bene), afin de créer un “narrative” permettant de justifier le viol de CS, le vol des actionnaires qui ont été dévalisés comme dans un bois, et le vol des créanciers obligataires, tout en mettant le poulet tout cuit directement, pratiquement gratis, dans le bec de l’UBS.

    Il est évident que des forces très puissantes voulaient faire cela depuis longtemps pour mieux contrôler la Suisse. Cela avait même fait l’objet d’un plan présenté publiquement par Axel A. Weber, à l’époque président de l’UBS sous le nom de code Projet SIGNAL. La presse financière s’en était fait abondamment l’écho mais ça n’avait pas marché. Là ils tenaient le prétexte tant attendu pour faire leur opération prévue de longue date, mais qui n’était nullement nécessaire.

    C’est écoeurant.

    Et cet abus du droit d’urgence…! Ca devient systéématique et c’est insupportable.

    Mme Keller-Suter a osé dire: “nous n’avons reçu aucune pression”.

    Evidemment, il est inutile de faire pression sur quelqu’un qui va spontanément au devant des désirs de la puissance américaine.

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