En solitaire, Ella Maillart a traversé l’Asie centrale en 1932. De la Chine à la mer d’Aral, un périple raconté dans « Des monts célestes aux sables rouges ». A l’initiative de l’association suisse Pamir’s Bridges, le musée municipal de la ville de Karakol, sur les bords du lac Yssyk Koul, a dédié une salle pour exposer les photographies de l’écrivaine-exploratrice suisse.
Par IAN HAMEL, de retour du Kirghizstan, texte et photos
Avant de se replonger dans cet ouvrage paru en 1934 chez Grasset, éditeur parisien, il faut se souvenir qu’à cette époque cette région était partie intégrante de l’URSS. Et que le communisme aspirait à sortir ces peuples turcophones de leur sous-développement. Ella Maillart campe alors dans une bourgade appelée Karakol, à quelques 300 kilomètres de Bichkek, la capitale, en direction de la Chine. « Nous vivons sous le portrait en chromo de Lénine ; il est couvert d’une armée de mouches, ainsi que les rideaux de cotonnade rouge, les fenêtres, et la table sur laquelle nous posons nos vivres », raconte la grande voyageuse. Et quand elle se lave dans un filet d’eau, « un bon nombre d’habitants placés en amont de vous-même s’est déjà servi de la même eau avant vous ; on crache et on vide les lavures de vaisselle loin du ruisseau, en formant le vœu que vos prédécesseurs aient agi de même ! ».
Karakol compte aujourd’hui 65 000 habitants. Si les Russes sont pratiquement tous partis depuis l’indépendance du Kirghizistan survenue en 1991, avec la disparition de l’URSS, la cathédrale orthodoxe de la Sainte Trinité est toujours bien entretenue. Et à proximité, le musée historique, avec une salle dédiée à Ella Maillart. Outre 112 photos prises par la voyageuse, les premières éditions de ses ouvrages sont exposés dans une vitrine. On doit cette salle d’exposition, inaugurée en 2016, à l’association suisse Pamir’s Bridges. Celle-ci a également traduit en langue kirghize « Des monts célestes aux sables rouges ». L’ouvrage a été distribué gratuitement aux bibliothèques, écoles et universités du pays.
« La mer d’Aral va geler »
Par ailleurs, cette association réhabilite depuis 2001 les ponts dans les montagnes de l’Asie centrale, afin de ralentir l’exode des populations rurales vers les villes. Au Kirghizstan, comme au Tadjikistan voisin, les montagnes couvrent plus de 90% de leurs territoires (1).
Du très long périple d’Ella Maillard en Asie centrale, retenons plus particulièrement ses récits sur la mer d’Aral. A l’époque, la superficie de cette mer intérieure était de 68 000 km2, soit une fois et demie celle de la Suisse. Depuis la folie des hommes, et plus particulièrement la culture intensive du coton, l’a réduit en une multitude de petites mares trop salées pour permettre la moindre vie. En 1932, sur la mer d’Aral, « des cargos vont de kantousiak à l’embouchure de l’Amou, jusqu’à Aralskoié Moré », écrit-elle. Puis, un peu plus loin : « je suis anxieuse de partir au plus vite : si ce froid continue, la mer d’Aral va geler bientôt et la navigation sera interrompue ». Enfin, « Ce soir, au bord de la mer d’Aral, le paysage est grandiose de désolation, gris de la glace sous le gris du ciel. Nourman cueille un bloc de glace pour en faire du thé : immonde breuvage salé. Je dégèle de la viande dans ma poêle ».
Que dirait-elle en découvrant, presque un siècle plus tard, un désert aride où pourrissent les derniers bateaux de pêcheurs abandonnées depuis déjà des décennies ?
(*) Pamir’s Bridges, Buchille 14, CH-1633 Marsens (Suisse).
Passionant. Belle initiative de Pamir’s Bridges.
J’ai lu il y a qq années “Des monts célestes aux sables rouges” et apprends que la mer d’Aral est maintenant un désert .