Après de belles rencontres, place de la Sorbonne vint le moment, à proximité de Notre-Dame, d’affronter un bouquiniste furieux. Pourquoi a-t-il accusé l’auteur de ce texte de lui faire concurrence?
PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris
Sur le coup de midi, d’un coup (répétition volontaire) d’épée le linceul gris asphyxiant le ciel s’est déchiré, et par-dessus la capitale un plafond revêtu d’un bleu tonique a fait croire au retour des beaux jours. Dans le cœur des passants, aussi bien des Franciliens que des touristes, une sérénité printanière s’est instaurée. Et samedi dernier (27.10.2024) Paris est redevenu, avant les frasques d’un automne en putréfaction, une ville agréable.
Un dernier petit dessin avant que l’hiver n’expulse des rues les artistes? C’est sur la place de la Sorbonne que j’ai fait une halte récréative et créatrice à une heure avancée de l’après-midi. Un bel endroit, une église reconstruite au 17ème siècle sous l’impulsion du cardinal Richelieu veille sur les badauds comme sur les consommateurs attablés aux terrasses de bars qui n’en finissent pas de bavarder. Sa coupole, majestueuse, m’a valu de la part de visiteurs étrangers la question suivante : « C’est bien les Invalides ? »
«La Belgique, c’est tellement plus tranquille»
Coup de bol : une jeune femme partie vivre en Belgique après avoir grandi à Toronto et… à Paris a jeté son dévolu sur un dessin fait au printemps 2023 : une portion du boulevard Saint-Germain dessinée à travers les vitres d’une brasserie par un jour de pluie. «J’en avais marre du stress qu’éprouvent les Parisiens qui courent tout le temps. La Belgique, c’est tellement plus tranquille, et les Belges sont d’une extrême gentillesse avec en contrepartie énormément de naïveté. » Aucun Suisse dans les parages ce jour-là. Quelques minutes plus tard, une femme d’environ vingt ans son aînée m’a adressé de réconfortants compliments. « Je suis venu passer ce week-end avec mes deux enfants. Nous habitons à Nice. A ses bras, un jeune garçon souriait mais timidement tandis que plus loin, à proximité de l’alléchante vitrine d’un magasin de jouets son frère aîné attendait patiemment, sans doute un peu boudeur… «Le plus grand de mes garçons participe à un championnat d’amateurs de MMA… » Un sport de combat qui a le vent en poupe et dont le succès reflète en partie la montée en flèche de la violence dans notre société. Curieusement, le soir-même, «le nouveau monstre de la discipline » (dixit Paris Match dans son édition 3938), figurait parmi les invités réunis autour de Léa Salamé, l’animatrice de «Quelle époque !», une émission proposée par France 2 chaque samedi en fin de soirée. La gentillesse de cette idole des rings devait conquérir les autres invités, parmi lesquels une journaliste chevronnée, Laurence Haïm. Pendant plusieurs mois, caméra au point, elle a «épié» Donald Trump au gré de ses meetings, et le reportage sera retransmis avant les élections par France 2.
Le triste sort des pommiers normands
Parler de Trump, c’est se pencher sur les maux qui étreignent une puissance mondiale déroutante, où 10% des citoyens possèdent une arme à feu, et qui aura copieusement contribué à souffler sur les braises de la violence un peu partout dans le monde. D’aucuns supputent une guerre civile aux USA dans quelques années, et il n’y a aucune raison pour que la France n’en prenne pas à son tour le chemin. Désormais, la France dont la douceur de vivre aura si longtemps épaté le monde s’enfonce dans un durable malaise aggravé par la lâcheté avec laquelle tout un pan de la classe politique sert sur un plateau d’argent à des pays trop gourmands des plats de premier choix, tant sur le plan industriel que sur le plan agricole. « Avant de visiter Paris, nous avons découvert la Normandie, et quelle ne fut pas notre surprise d’apprendre que des pommiers sont arrachés à cause d’accords de libre échange… » Cette phrase, je l’ai entendue de la bouche d’un couple de Bulgares qui m’ont fait l’honneur d’acquérir un dessin alors que j’avais changé de paysage, bien décidé à croquer à la va-vite Notre Dame. A 18 heures, il faisait encore étonnamment beau et doux. Hélas, j’ai dû faire les frais du stress extrême propre à Paris dont s’était plainte la jeune femme belge rencontrée quelques heures auparavant.
J’eus l’idée de croquer la façade de la cathédrale accoudé à un muret le long du Quai Saint-Michel, à quelques mètres d’un bouquiniste. Ce point de vue privilégié sur Notre Dame présentait l’avantage d’inclure dans le dessin une partie du Petit Pont. En principe, je dessine presque toujours en compagnie de quelques cartons verts sur lesquels sont apposés des dessins (format A4, portrait) au cas où des inconnus seraient désireux d’en acheter pour le moins un.
«Si tu ne dégages pas, j’appelle la police !»
Peine perdue… Aussitôt, surgissant du néant telle une furie, un homme m’interpella en ces termes : «Vous ne pouvez pas allez ailleurs au lieu de venir me concurrencer ?» Entre autres articles, il propose des illustrations qui n’ont vraiment rien à voir avec mes dessins tous faits sur le vif. Ces prétendues gravures, vendues à des prix dérisoires, barbouillées de couleurs criardes, sont cédées à des prix écrasés. Beaucoup de gens savent qu’elles proviennent en réalité de Chine ou de pays en voie de développement.
Redoublant d’agressivité, le monsieur se mit à invoquer les taxes qu’il acquitte, et les bouquinistes, rien de plus normal, bénéficient de certaines facilités en la matière. Quelle mesquinerie de sa part. Sur l’un de ses websites, la Mairie de Paris fournit une information qui valide la mauvaise foi (et même la propension aux mensonges) de ce bouquiniste survolté. « Les bouquinistes ne payent ni taxe ni loyer, mais ils doivent respecter un règlement strict concernant leur commerce. Les emplacements vacants sont attribués et réglementés par la Ville ».
«Figurez-vous que je ne suis pas le forban que vous m’accusez d’être», devais-je lui répondre. «Je suis inscrit auprès de l’Urssaf (*) et considéré comme un artiste professionnel». Notre enragé se mit à prodiguer des conseils à la noix : «Allez plutôt dessiner à l’entrée des grandes enseignes commerciales qui ne vous feront pas d’histoires car vous ne leur faites pas de concurrence.» Et de plus en plus menaçant, il me prévint, cette fois-ci me tutoyant : «Si tu ne dégages pas, j’appelle la police. Tu n’as qu’à te mettre d’accord avec les mafias d’artistes qui se tiennent tout autour de la cathédrale…» Davantage qu’un forban, me voici promu au rang de mafieux ! Je les connais bien, «les mafias» dont ce bouquiniste m’a parlé : quelques artistes, la plupart des Maghrébins, qui vendent des gravures elles aussi « made in China » et des toiles de petite envergure fixées sur de mini chevalets. Ils sont agglutinés sur le Petit Pont, dont une balustrade sert d’étagère à leur boutique en plein air.
Il me fallait bien consentir à partir car ce mec commençait à me gonfler. Je me risquais à lui dire : «Méfiez-vous, car vous ne savez pas qui je suis. Je peux vous garantir que je vous réserve une belle surprise ! Et ne me tutoyez pas car nous n’avons pas gardé les cochons ensemble.» Ces quelques mots suffirent à le rendre vraiment fou. Il retroussa les manches, s’exprimant dans un langage de charretier, et un jeune homme s’interposa entre nous pour éviter la bagarre qui se tramait…»
Finalement, non loin de là, j’ai découvert un endroit génial… j’ai pu mettre bien en vue mes dessins et même en vendre un de plus !
Les bouquinistes et leurs boîtes vert-wagon font partie intégrante de la vie culturelle à Paris et pour survivre ils doivent compléter leur cœur de métier (vente de vieux journaux, de livres usagés, d’affiches, de cartes postales, par des articles tels que porte-clefs, souvenirs, tasses à l’effigie de Paris, etc. On en dénombre deux-cents, qui gèrent 900 boîtes. Pendant les mois qui ont précédé les Jeux Olympiques, la Mairie avait projeté le retrait de ces boîtes d’un autre âge accusées d’entraver le déroulement de la cérémonie d’ouverture pour des raisons de sécurité. Grâce aux protestations et indignations relayées par les médias, cette « mise en boîte » de toute une profession à pu être évitée. Un projet d’autant plus inique que les bouquinistes dont le chiffre d’affaires a tendance à ralentir travaillent dans des conditions peu enviables et doivent pactiser avec la précarité, Alors, il est dommage que le bouquiniste dont il est question dans cet article, par son manque de correction et sa grossièreté porte atteinte à la réputation et crédibilité de toute une profession. Honte à lui !
Yann Le Houelleur est à la fois artiste de rue et rédacteur en chef du journal numérique Franc-Parler.
*La mission principale de l’Urssaf est la collecte et la redistribution des cotisations et contributions sociales. Les plus récentes statistiques communiquées par l’Urssaf sur son website ne précisent pas l’année prise en compte et font état de «648,3 milliards d’euros encaissés auprès de 11 millions d’usagers».