Ces 30 milliards que la Syrie doit à l’Iran qui n’en verra jamais la couleur

PAR MICHEL SANTI

La dette syrienne envers l’Iran est de l’ordre de 30 milliards de dollars US. Ce chiffre, émanant de la Présidence de la République iranienne, avait fuité en août 2023. Il représente le prix payé, depuis 2011, par l’Iran pour maintenir Assad au pouvoir. Le remboursement de cette dette massive est d’autant moins certain que ceux aujourd’hui au pouvoir en Syrie vouent au pays des Mollahs une aversion éternelle pour avoir soutenu quasi-inconditionnellement l’ancien dictateur.
 
Doit-on rappeler que l’Iran n’a toujours pas récupéré les 1’000 milliards dus par l’Iraq pour réparations, suite à la guerre sanglante provoquée en 1980 par Saddam qui a duré 8 ans ? Les deux nations s’entendent pourtant désormais bien, ayant un commerce bilatéral en constante progression ces 10 dernières années. N’empêche que l’Iran n’a rien récupéré, tandis que le Kuwait, pour sa part, a bel et bien reçu les 50 milliards lui étant dus par l’Iraq, condamné pour l’avoir envahi en 1990. A l’évidence, l’Iran paie de la sorte le manque total de soutien international, ainsi que de réseaux, dont le Kuwait bénéficie largement.
 
Les « rebelles » et la dette

Les relations commerciales et économiques entre l’Iran et la Syrie furent multiformes et englobaient – jusqu’à la chute d’Assad – des secteurs aussi variés que l’énergie, la vente de produits industriels, de véhicules, d’armes, de produits pétrochimiques, des matériaux divers, d’investissements financiers, et des flux considérables en espèces amenés en Syrie par des pèlerins iraniens en visite auprès de sites chiites sacrés près de Damas. Ainsi, l’Iran a exporté en moyenne 60’000 barils de pétrole par jour vers la Syrie en 14 ans. A 50 $ le baril, la Syrie lui doit donc 1 milliard par an, soit 14 milliards depuis 2011, et sur ce seul domaine. Par exemple, un super tanker iranien censé livrer 750’000 barils dut faire demi-tour le 8 décembre dernier dans le Golfe de Suez du fait de l’offensive de ceux qui n’étaient encore que les «rebelles».
 
Parvenus au pouvoir, ces derniers n’auront certes pas la tentation d’honorer la dette du pays. Pour autant, les autorités iraniennes étaient déjà anxieuses et incertaines de recouvrer leurs deniers, et ce déjà sous Assad. Voilà pourquoi elles avaient multiplié avec lui accords et contrats couvrant un large éventail de secteurs, afin de s’assurer d’un minimum de retour sur investissements… En septembre 2022, un gros contrat portant sur 8 projets avait été signé entre les deux pays, en vertu duquel Damas règlerait 18 milliards à Téhéran. L’Iran était censé dépenser un nouveau milliard et en récupérer 18 sur une période de… 50 ans. Un autre contrat prévoyait la mainmise iranienne sur le port syrien de Tartus pour une durée de 49 ans, renouvelable automatiquement pour 49 autres années, soit jusqu’en 2093…Le 13 novembre 2024 – donc un mois avant la fuite d’Assad ! – le Parlement iranien adoptait encore une loi établissant la libéralisation totale des échanges commerciaux avec la Syrie, dont l’Iran espérait se tailler la part du lion dans le cadre de sa reconstruction.

10% du PIB iranien
 
A cet effet, l’Iran ne se contentait pas d’envoyer en Syrie des conseillers militaires, mais également du personnel qualifié, sorte de missi dominici, facilitateurs en termes d’échanges commerciaux et de surveillants de ces accords bilatéraux. Certaines sources font état de 10’000 officiels iraniens actuellement en Syrie, dont le sort est devenu incertain. L’ambiguïté de cette situation est aggravée car ces dépenses substantielles – dont la plupart touchent à des projets civils en Syrie – sortent en réalité du budget militaire iranien dans le cadre de la «sécurité avancée» conclue entre les deux pays.
 
Le mécontentement populaire – dont les autorités iraniennes n’ont cure – était déjà patent avant l’éviction d’Assad, car de nombreux médias avaient régulièrement manifestés leur colère par rapport à ces sommes soustraites au pays qui auraient pu être précieuses dans un contexte de situation économique désastreuse. Aujourd’hui, de plus en plus responsables politiques nationaux et locaux questionnent ouvertement cette politique, car cette dette syrienne de 30 milliards représente pas moins de 10% du Produit Intérieur Brut iranien.

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