Tribune libre – Accords Suisse/UE (1/3): quand c’est opaque, c’est qu’il y a un loup!

La société du spectacle s’expose avant tout, lorsqu’à grands coups de com’, les acteurs gouvernementaux mettent en scène les intérêts de classe qu’ils représentent au moyen de récits aguicheurs illustrant leurs supposés succès politiques, diplomatiques ou personnels. Le recours à la production de tels spectacles a généralement pour but de marquer les esprits afin de peser sur l’opinion publique. La pratique est devenue courante, et comme bien d’autres, le Conseil fédéral en a fait usage quand, le 20 décembre 2024, le tapis rouge fut déroulé sous les escarpins de la présidente de la Commission européenne, Madame Ursula von der Leyen. Avec la dramaturgie de son arrivée précipitée au Palais fédéral pour parapher dans l’urgence le nouveau paquet d’accords conclus entre la Suisse et l’UE, son accolade avec Viola Amherd, une couverture médiatique finement orchestrée par un duplex Berne/Bruxelles, tout y était pour donner à voir le spectacle rassurant d’une sortie de crise. Les négociations avaient abouti, le contrat était signé et les embrassades redonnaient vie au couple Suisse/UE. L’instant devait être historique, mais c’était sans compter sur la dure réalité connue du contenu de ces accords que les souverainistes de l’UDC, mais surtout la direction de l’USS, en la personne de Pierre-Yves Maillard, ont aussitôt rappelée. 

Quand c’est opaque, c’est qu’il y a un loup !

D’abord, vous pouvez chercher sur le site de la Confédération, partout, le texte de ces accords n’est disponible nulle part. N’en sont connus que le schéma et les grandes lignes servis aux médias. À croire que tout n’est pas encore sous toit et que les festivités du 20 décembre ont servi de ballon d’essai à une opération de communication, voire de pur marketing politique.

Pour les travailleurs, le compte n’y est pas !

Ensuite, de ce qui se sait de ces nouveaux accords, notamment pour ce qui est de celui sur la libre circulation des personnes, il n’est pas bon pour les travailleurs puisqu’il affaiblit les mesures d’accompagnement à la libre circulation des travailleurs en réduisant le délai d’annonce (travail détaché) de huit à quatre jours, affaiblit le dispositif des cautions payables par les entreprises qui profitent de l’exportation des travailleurs détachés et rejette toute adaptation des frais de bouche et d’hébergement pour les ouvriers détachés au coût de la vie et aux tarifs pratiqués en Suisse. Il n’y a pas de petits profits, et les frais annexes ou complémentaires au salaire représentent en effet de grosses sommes d’argent. Pourquoi demander aux patrons et capitalistes roumains, bulgares, polonais, italiens ou portugais de les payer quand la législation européenne leur permet d’en faire porter la charge aux ouvriers qu’ils exportent ?  Ce serait idiot et mauvais pour les affaires ! Si le niveau des défraiements accordés par les patrons aux ouvriers détachés se conforme, comme le prévoient les directives européennes, au niveau et aux tarifs pratiqués dans le pays de provenance ou d’origine, le différentiel de charge reporté sur les travailleurs (esclaves) est énorme. Pour exemple, en 2024, le prix d’un kilo de pain en Bulgarie est estimé au change à 0,50 francs suisses là où en Suisse le kilo de pain coûte de 6 à 8 francs. Présentée comme une ligne rouge à ne pas franchir par la faîtière des syndicats suisses, la prise en compte d’une adaptation des frais des travailleurs au coût de la vie dans le pays de la prestation comme condition à toute conclusion de l’accord sur la libre circulation des travailleurs a été méprisée tant par les négociateurs suisses que par la commission européenne.

Ce mépris en dit long sur la nature anti-ouvrière et antisociale des institutions antidémocratiques de Bruxelles. Plus grave encore, le public suisse a appris que la commission européenne exigeait de la Suisse qu’elle diminue de moitié son dispositif d’inspection des chantiers et entreprises qui sous-traitent et emploient de la main d’œuvre détachée. Tout est dit !  Notre crainte que la poursuite des négociations, qui de toute évidence ne sont pas terminées, conduise à la levée, préconçue, de l’une ou l’autre de ces scandaleuses mesures anti-ouvrières pour, par manœuvre, parvenir aux forceps à faire plier l’USS afin d’en obtenir, in fine, un soutien critique, même du bout des lèvres. Quand on sait comment ça marche, on anticipe et se doit de rester prudent… 

Un accord-cadre institutionnel fractionné !

Enfin, la question institutionnelle. Celle-là même qui, selon le narratif en vigueur, aurait conduit le Conseil fédéral, un certain 26 mai 2021, à rompre unilatéralement les négociations sur l’accord-cadre institutionnel tel que voulu par les institutions de Bruxelles. Là aussi, le récit présenté aux médias pour qu’il soit relayé laisse songeur. Selon la com’ officielle, les accords bilatéraux signés en décembre résulteraient de concessions extraordinaires accordées par l’UE à la Suisse, nous y reviendrons. Ces nouveaux accords sont au nombre de huit, exclusivement consacrés à des domaines particuliers du marché intérieur et du règlement des échanges commerciaux qui, dans un sens comme dans l’autre, s’y rapportent : «libre circulation des personnes», «levée des obstacles techniques au commerce», «transport terrestre», «transport aérien», «agriculture», «électricité», «sécurité alimentaire» et «santé». L’avantage, toujours selon la com’ officielle, résiderait dans le fait que, contrairement à ce qui était en négociation jusqu’au 26 mai 2021, ce nouveau paquet d’accords n’intégrerait pas d’accord annexe, complémentaire et contraignant consacré exclusivement au règlement des questions institutionnelles. 

C’est juste, sinon qu’avec la nouvelle salve d’accords, les conditionnalités institutionnelles résident désormais point par point, domaine par domaine, dans chacun des huit principaux accords conclus. Ainsi, la reprise dynamique du droit dit «européen» et les conditions de son application en Suisse sont-elles inscrites séparément dans chacun des nouveaux accords et pour chacun des domaines concernés. Autrement dit, hormis le packaging et l’une ou l’autre nuance sémantique, comme par exemple «reprise dynamique du droit…» en lieu et place de «reprise automatique du droit…», presque rien n’a changé entre ce qui avait été négocié jusqu’au 26 mai 2021, date de la rupture des négociations, et ce qui est présenté aujourd’hui comme une avancée diplomatique majeure pour la Suisse. Le gros paquet-cadeau (empoisonné) institutionnel a été ouvert, son contenu réparti dans plusieurs petits paquets et le tout, renvoyé au destinataire, le peuple suisse qui sera consulté par voie référendaire d’ici trois ans.

Michel Zimmermann, militant ouvrier, Genève

Prochain article: Vous avez dit : « clause de sauvegarde » ?

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