PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris
En ce jour d’hiver pendant lequel sévissait un froid aussi tranchant qu’un couteau, le long de l’interminable boulevard Saint Germain, je repérai un immeuble à cheval sur l’architecture haussmannienne et l’Art nouveau, à la fois élégant et majestueux, strié de cordons en relief, de moulures et de crénelages courant à l’horizontale le long de ses façades rythmées à la verticale par des colonnes imperceptibles quand on regarde cet ouvrage d’assez loin. Que de rigueur, d’élasticité et même d’audace dans la volonté des architectes de redéfinir une esthétique ponctuée de détails dont chacun a son importance ! Chacune des fenêtres, quelle que soit sa dimension, est agrémentée d’un garde-corps savamment travaillé.
Il était 16 heures environ et un pâle soleil peinait à percer la carapace des nuages, ce qui conférait à l’immeuble une couleur indéfinissable oscillant entre le beige, l’orange avec de légères touches de rose. Sans oublier les tonalités mouvantes (violet, gris, bleu..) de la toiture. Un élément du mobilier urbain, s’apparentant à l’Art nouveau en vogue dans les années trente, a contribué à me donner envie de faire un dessin de ce majestueux bâtiment: un mât de couleur vert bouteille, soutenant une cartouche rougeoyante où figure le mot «Métro» s’élance au carrefour du boulevard et de la rue Saint-Jacques. On dirait qu’il cherche, en raison de sa couleur tape-à-l’œil, à concurrencer une tour circulaire au beau milieu de l’emblématique immeuble, coiffée d’un bulbe énorme percé d’une lucarne. Surmontés d’un candélabre Dervaux (du nom d’un architecte à la fin du premier quart du vingtième siècle) le mât et son enseigne signalent l’une des bouches du métro (station Cluny-la Sorbonne), entourée d’une balustrade de fer forgé.

Crayons made in Switzerland
Il m’a fallu au moins deux heures pour improviser sur place ce dessin et mes doigts finissaient par se crisper à cause de l’inconfort que provoquait la chute accélérée du thermomètre. Quand je crayonne dans l’espace public, j’ai pour habitude de placer à proximité de moi des cartons à dessin sur lesquels j’appose quelques-unes de mes «œuvres» (un mot abusif, j’en conviens). Ils étaient rares, les passants qui marquaient une pause pour m’observer et au besoin engager une brève conversation. De même, aucun d’entre eux ne contemplait l’immeuble presque centenaire dont la splendeur me tenait en haleine.
Tout en maniant quantité de crayons de couleur, dont ceux offrant la plus forte densité en pigments sont fabriqués en Suisse, je songeais à des questions d’actualité. J’avais encore en tête les reportages diffusés par une chaîne d’info en continu qui démontraient à quel point les rues de plusieurs villes en France sont devenues des coupe-gorges, à cause de l’insécurité qui se taille la part du lion dans les sujets de préoccupation des Français (mais aussi des Allemands et plus largement des Européens). Cette chaîne, la si controversée CNews, a démontré que les mairies gouvernées par la formation politique «Europe Ecologie-Les Verts» occupent les premières places dans le palmarès des villes les plus fortement rongées par la délinquance et la violence. Nantes, Grenoble, Bordeaux, Rennes, Lyon… Toutes ces capitales régionales, un «palmarès» auquel s’ajoute Paris, sont minées par le narcotrafic. Alliés à des socialistes et parfois aussi à des communistes, leurs édiles se refusent à voir la réalité en face. Le plus polémique de ces maires vert est Eric Piolle, élu pour un premier mandat à Grenoble en 2014 et reconduit dans ces fonctions six ans plus tard. Opposé au renforcement de la vidéosurveillance, il a une prédilection pour la provocation : il a proposé à d’autres villes, Nice en particulier, de leur offrir une partie des caméras surveillant ses administrés.
Tous ces maires nient que l’immigration déferlant sur la France contribue à alimenter l’insécurité, tout simplement parce qu’un clandestin, lorsqu’il s’invite dans la Patrie des droits de l’homme, s’expose à un péril : celui de devenir une proie supplémentaire des organisations criminelles en quête d’une main d’œuvre vulnérable et corvéable à merci.
Maires verts niant la réalité
Partout, des mineurs venus de territoires plus ou moins lointains sont recrutés par «l’industrie de la drogue» dont le chiffre d’affaires annuel pourrait s’élever à cinq et même six milliards d’euros. Les «maires verts» comptent parmi les plus fervents défenseurs de la légalisation du cannabis. Cette expansion si véloce du «marché des substances prohibées» va de pair avec la multiplication tous azimuts de délits et de crimes de toute sorte reflétant ce que des personnalités à droite de l’échiquier politique ont d’abord appelé «ensauvagement de la société» ; une formule qui fait place à présent au mot «décivilisation»
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Ainsi que l’a décrypté l’influent philosophe Michel Onfray dans une émission hebdomadaire sur… CNews, «l’homme est un animal qu’il faut éduquer, dès son plus jeune âge, afin de lui imposer des limites, faute de quoi il appartient aux espèces les plus sauvages.»
Etait-ce un sauvage, l’inconnu qui, soudain, alors que le froid redoublait de férocité, se dressa devant moi, déclenchant un effroi que j’éprouvais du mal à contenir ? Les yeux exorbités, ses pupilles tournoyant comme des toupies saisies de folie, il avait d’épaisses lèvres qui, entrouvertes, laissaient apparaitre une dentition délabrée, en partie béante. Il bafouillait des paroles pour la plupart issues d’un quasi néant intellectuel, éprouvant du mal à les relier par des verbes.
Il ne me donnait pas le temps de répondre à une éruption de questions. Cette épouvantable créature voulait savoir, entre autres inquiétudes, si j’appartenais au «royaume des dragons» et il en vint à me considérer comme un «Dieu» qui allait, pour autant que j’aie compris, expier ses fautes en présence d’anges. Avait-il subi un lavage intensif de cerveau, que ce soit au sein d’une secte, d’une mafia quelconque ou d’un hospice spécialisé ? Avait-il consommé des «substances psychotropes» ou des produits hallucinogènes susceptibles d’altérer son comportement ?
120 attaques au couteau par jour ?
Je ne savais comment convaincre l’atroce créature de déguerpir et je fis un petit geste de la main à un commerçant, quelques mètres plus loin, qui remettait un peu d’ordre dans des bacs jouxtant sa vitrine – un commerce de fringues et de bibelots à l’effigie de Paris. J’imaginais le pire, et quoi de plus «normal» que mes craintes alors que chaque jour nous apporte son lot d’attaques et d’assassinats perpétrés par de prétendus déséquilibrés en pleine rue ou dans les bois ? Il n’existe pas de statistiques fiables à ce sujet mais le chiffre de «120 attaques quotidiennes au couteau» a été mentionné à maintes reprises par les médias. Une estimation effrayante, dans un pays peuplé de 70 millions d’habitants.
Entre parenthèses, il m’est déjà arrivé – dans une rue parallèle au boulevard Saint-Germain – d’être menacé par un SDF qui brandissait un couteau et dont j’avais pu assouplir la furie grâce à des propos appropriés (mélange de supplications et de flatterie).
Dans ces conditions, impossible de ne pas imaginer le pire quand on se trouve en présence d’un tel individu, et cet inconnu qui disait avoir 47 ans était de plus en plus menaçant. Il prononça le nom de Grigny, considérée comme la plus pauvre des villes de la région Ile-de-France : une population bigarrée s’entasse dans des barres et des tours dégradées où abondent les marchands de sommeil. Pas très rassurant, même quand on veut éviter les préjugés.
Je cessai de l’interroger : «Dites-voir, quand donc allez vous partir? J’ai besoin de dessiner tranquillement…» Et il rétorquait : «Pourquoi tu dessines ?» Stupidement, dois-je avouer, je lui demandai : «Sais-tu ce qu’est cet immeuble ? Un très bel exemple de l’Art nouveau… » C’était juste pour me faire une idée de son degré de connaissance ou d’ignorance. Et au moment où je m’apprêtais à mettre un terme prématuré à mon dessin, l’énergumène manifesta l’intention de partir, mais il tenait à me «faire souffrir » encore un peu. Par chance, un groupe de touristes asiatiques vint me parler et cela accéléra son départ.
Tout semblait être rentré dans l’ordre et, cinq minutes plus tard, l’individu si inquiétant fit sa réapparition. Le dos appuyé contre la balustrade autour de la bouche de métro, il m’épiait en silence. Puis il partit se fondre dans la foule aux abords d’un passage piétons traversant le boulevard St-Germain. Allais-je enfin m’en délester? Pas pour longtemps puisqu’il revint m’observer d’un peu plus loin avant de s’évaporer une fois pour toutes. Le vendeur de souvenirs, juste à côté, me donna un bon conseil : «Quand vous reviendrez, faites en sorte de vous installer de l’autre côté de ma boutique; c’est plus sûr.»

Photo DR
La grammaire architecturale de Paris est déroutante
L’avez-vous remarqué vous-mêmes ? Otages de leur smartphone, les touristes, où qu’ils soient, perdent la propension à s’émerveiller en présence de curiosités dont ils aspiraient pourtant à se délecter. Ils sont plus pressés que des hommes d’affaires, croyant pouvoir découvrir un site en un temps record. Combien de fois n’ai-je pas entendu des étrangers me dire qu’ils disposaient de deux ou trois jours à peine pour visiter… la plus belle des capitales, en l’occurrence Paris ?
Le tourisme s’est mué en une industrie, les critères de productivité et d’efficacité l’emportent sur toute autre considération. Comment pourrais-je me satisfaire d’une aussi désolante réalité?

Chaque fois que je déambule le long des avenues et boulevards en quête d’un «coin charmant», je redécouvre une pépite dans cette capitale qui recèle tant de trésors. Récemment, un immeuble au carrefour du boulevard Saint Germain et de la rue Saint Jacques m’a interpelé. S’apparentant à l’Art nouveau, il n’est pas moins éclectique. Certains de ses éléments, en particulier ses balcons filants, au premier étage et à l’avant dernier étage (sur les façades latérales, exception faite de la tour centrale dotée sous son bulbe violacé d’un étage supplémentaire), lui confèrent une indiscutable parenté avec l’époque haussmannienne.
La grammaire architecturale de Paris est déroutante et il faut apprendre à ne pas trébucher sur d’innombrables erreurs de syntaxe ou conjugaison de styles faisant la part belle à la fantaisie. Les immeubles projetés par les architectes et sculpteurs aux ordres du baron Haussmann (pendant le second Empire) ont d’innombrables variantes et déclinaisons en fonction des époques mais aussi de l’espace entre les rues et avenues qu’ils occupent. Comme on doit s’y attendre, la superficie des appartements était proportionnelle au train de vie des locataires ainsi qu’en témoigne la distance entre les fenêtres : si celles-ci se resserrent démesurément, il y a de fortes chances pour qu’initialement les logements aient abrité des locataires plus modestes, et il en va de même pour les bâtiments construits à des époques postérieures. Autre indicateur du rang social de leurs tout premiers occupants : les gardes-corps et balustrades en ferronnerie. Plus ceux-ci possèdent des motifs sophistiqués (évoquant des fleurs et des fruits) et plus l’immeuble était destiné à des familles huppées. YLH