L’or, baromètre de la défiance

PAR MICHEL SANTI

L’or, dont l’once flirtait avec les 2’000 dollars encore en mars 2024, est sur le point de passer le cap de 4’400. En hausse de plus de 55 % sur un an, de 16 % rien que ce mois-ci, son accélération est spectaculaire.

En tous points proportionnelle à la défiance quasi-irrémédiable envers l’ordre financier mondial que révèle la flambée de cette relique barbare (termes de Keynes), détrônée le 15 août 1971 par Richard Nixon, qui suspend «temporairement» la convertibilité du dollar en or.

Quand le “provisoire” dure toujours

 S’inspirant probablement de Clémenceau, selon lequel «rien n’est plus long que le provisoire» (qui dure toujours), le Président américain était parfaitement conscient – déjà à l’époque – qu’il y avait bien plus de dollars en circulation que d’or en réserve.

Soixante-quatre ans plus tard, nous assistons en direct à l’application de «la loi de Thiers», du nom de l’un de nos anciens grands hommes politiques, Adolphe Thiers, premier Président de la IIIᵉ République.

Le discours visionnaire de Thiers en 1848

Extrait de son prononcé à l’Assemblée nationale le 16 septembre 1848, dans le cadre de la discussion sur la Constitution, où il aborde la question du papier-monnaie :

Le papier-monnaie — cette monnaie dont la valeur dépend uniquement de la confiance publique — : quand cette confiance fait défaut, que devient-il ? Il se déprécie. Il perd ses garanties. Et alors, le travailleur, l’artisan, le commerçant ne veulent plus en recevoir, ou l’acceptent à un prix moindre.

Il ne suffit pas de décréter que ce papier vaut une certaine somme : il faut que quelqu’un veuille l’échanger pour cette somme. Si l’échange ne se produit pas, la monnaie reste étrangère à l’économie réelle, et la société souffre.

La monnaie n’est point une création arbitraire de la loi ; elle est une marchandise, une marchandise précieuse, choisie par le consentement universel des peuples.
 
Quand l’État veut substituer son crédit à celui du métal, il tente de faire ce que la nature sociale ne permet pas. Le papier-monnaie, messieurs, est une illusion de richesse. Il ne crée pas de valeur réelle ; il ne fait que déplacer la richesse existante. Il est dangereux, car il peut être émis en trop grande quantité, dépréciant ainsi sa valeur.

Une leçon d’économie toujours actuelle

Ne trouvez-vous pas ce discours étrangement moderne et adapté à nos circonstances actuelles, 177 ans plus tard ?

S’ils en ont la liberté, affirmait Thiers, les gens choisiront naturellement la meilleure monnaie, celle en laquelle ils font confiance.

Son principe, énoncé en 1848 mais étudié dans les facultés de sciences économiques du monde entier, éclaire le comportement des agents économiques qui thésaurisent la «bonne» monnaie et dépensent la «mauvaise», de moindre valeur.

Thiers connaissait son Histoire: celle où les empires de l’Antiquité avaient l’habitude, en périodes de difficultés, de diluer la concentration de leurs pièces d’or et d’argent !

De Thiers à Gresham : la mécanique des monnaies

Précisément le phénomène décortiqué par un conseiller de la reine Élisabeth Iʳᵉ d’Angleterre au XVIᵉ siècle, Thomas Gresham, ayant découvert (à la suite d’Aristophane et de Copernic) que la «mauvaise» monnaie est systématiquement utilisée comme moyen de paiement, tandis que la «bonne» monnaie (celle ayant plus de valeur intrinsèque) est conservée.

La loi de Gresham démontre comment la monnaie de qualité (quelle que soit sa nature) tend à se raréfier, voire à disparaître de la circulation, reléguée dans les coffres-forts — aujourd’hui sur les comptes-métal ou encore sur la blockchain pour les cryptomonnaies — tandis que la monnaie dépréciée inonde les marchés.

L’implosion annoncée du système fiduciaire

Ces divers principes s’appliquent aujourd’hui avec une pertinence glaçante.

Les monnaies fiduciaires – dollar, euro, yen – semblent des coquilles vides, à peine encore soutenues par une confiance évanescente en des institutions vacillantes, en des banques centrales à bout de souffle.

Symptômes manifestes de la perte de crédibilité du système et des pouvoirs en place : la Réserve fédérale américaine mise en échec par une réalité sur le terrain où le prix de l’alimentation et du logement explose de 20 à 30 % en glissement annuel réel.

Une Europe politique en lambeaux, dont la seule et unique fuite en avant consiste à se réarmer massivement, et à renouer ainsi avec ses vieux démons. Un Japon qui ne compte plus.

Les lois de Thiers et de Gresham, plus d’actualité que jamais

Les lois de Thiers et de Gresham ne sont pas des théories poussiéreuses. Elles dissèquent la mécanique impitoyable de notre implosion.

À 4’400 $ l’once d’or, l’empire monétaire occidental n’agonise plus lentement : il convulse.

Les États-Unis d’Amérique affichent une dette qu’il est plus aisé de chiffrer à 40 trillions de dollars qu’à 40  mille milliards.

Pour la première fois de leur histoire, la charge annuelle de leur dette (1,16 trillion) dépasse ce qu’ils dépensent pour leurs armées (1,13 trillion).

Le règlement des intérêts sur leur endettement surpasse donc le coût lié à la protection et à l’expansion de leur Empire.

Je me demande ce que ferait Nixon, aujourd’hui, dans cette situation, car toutes les combines semblent épuisées.

Après tout, la vraie richesse ne s’imprime peut-être pas?

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