PAR NADINE CRAUSAZ
Veste en cuir noir constellée de pin’s comme autant de médailles d’amitiés forgées dans la rue, santiags aux pieds, usées par les pavés parisiens et les sentiers du Verdon, le Père Guy Gilbert (avec l’auteure à Sion sur notre photo DR) est une silhouette impossible à rater. À 90 ans passés, le prêtre parisien, éducateur de loubards, vient de célébrer ses 60 ans de sacerdoce. Chroniqueur espiègle à La Croix et sur Radio Notre-Dame, il incarne une Église vivante, loin des dorures et des dogmes figés.
Né en 1935 dans une famille ouvrière de quinze enfants à Rochefort-sur-Mer, il a choisi la prêtrise à 13 ans, porté par un amour filial qui l’a conduit vers un Dieu d’amour et de pardon.
Jésus est venu nous montrer l’amour,
dit-il simplement, comme si la foi était une évidence. C’est l’histoire d’un curé des loubards qui a fait de l’Évangile un outil de rédemption pour les exclus.
Faits marquants : un prêtre qui croise les mondes
Le Père Guy Gilbert n’hésite pas à mêler sa foi rebelle à des moments emblématiques de la vie publique. Il est grandement apprécié par les people. Le 12 avril 2003, il célèbre le mariage du prince Laurent de Belgique, prononçant une homélie qui fait pleurer l’assemblée royale. Le 9 décembre 2017, il participe aux funérailles de Johnny Hallyday à la Madeleine à Paris, toujours avec son blouson de cuir noir, un geste qui symbolise son lien profond avec les âmes tourmentées, comme avait pu l’être l’idole des jeunes. En 2019, Guy Gilbert avait, tout comme Johnny en 1974, rendu visite aux détenus du pénitencier vaudois de Bochuz. Le 7 décembre 2018, il est fait chanoine de la cathédrale Notre-Dame de Paris, une reconnaissance officielle de son engagement au service de l’Église et des plus fragiles.
De la porte soulevée à la rue impitoyable
Élève pas très motivé, « nul en maths », avoue-t-il en riant, Guy Gilbert se souvient d’un professeur qui, excédé, lui lança un jour : « Prenez la porte ! » Le garçon le prit au mot, souleva la porte et s’en alla avec! Cette anecdote préfigure sa vie : une vocation qui s’éveille en Algérie en 1957, ordonné prêtre pour le diocèse d’Alger en 1965, avant un retour à Paris en 1970, où il troque la soutane qu’il a portée pendant 7 ans pour un look de canaille : « Dans la rue, cette tenue n’était pas appropriée », explique-t-il,
je ne voulais pas afficher ma religion. Ce n’est pas le vêtement qui compte. Jésus était habillé comme les hommes de son âge.
Faire descendre le Seigneur dans ses mains de pauvre
C’est là, au contact des jeunes en marge – voleurs, menteurs, pervers : « des êtres détruits » comme il les décrit – que le Père Gilbert forge son style.
Il se bat, au sens propre : « J’ai appris sur le tas. » Les rencontres sont violentes, les gamins insolents. Il a enterré des dizaines d’entre eux, entre 15 et 18 ans, suicidés, abattus par balle ou fauchés dans un accident. « C’était rude », concède-t-il, la voix encore chargée de ces deuils. Pourtant, il n’a jamais eu peur. Son secret ? Un regard d’amour qui désarme :
Quand on regarde l’autre avec amour, il nous dévisage d’un air étonné, puis baisse la garde.
Un évangile vagabond
Ancien motard et skieur chevronné, son franc-parler fait grincer des dents. Certains intégristes tiquent sur ses livres, comme La vieillesse est un émerveillement. D’autres, en revanche, le remercient par milliers de lettres auxquelles il répond fidèlement.
On ne peut pas plaire à tout le monde. J’écris ce que je pense, ce que je ressens. À 45 ans, sur les conseils d’un ami, je me suis mis à écrire – 63 livres – en puisant mon inspiration dans mes expériences.
Les femmes dans l’Église
Et la place des femmes ?
Il y a des femmes dans l’Église depuis 2000 ans. Aujourd’hui, l’aumônier à l’hôpital ou en prison, c’est souvent une femme. Elles occupent depuis des lustres des rôles importants. Il faut qu’elles deviennent diacres. Qu’elles baptisent, qu’elles marient, qu’elles prêchent ! Les laïcs, eux, pourraient aussi soulager les prêtres débordés, courant d’une messe à l’autre sans s’arrêter avec les fidèles.
Justement, quel regard porte-t-il sur l’Église en 2025 ?
Elle est trop figée dans une liturgie qui vide les bancs. À ce rythme, dans 20 ans, il n’y aura plus personne. Les jeunes veulent des messes vivantes, pas un désert spirituel ! Faute de temps, les prêtres snobent même les enterrements, ces moments où toutes les religions se retrouvent pourtant dans la prière ». Il rêve de plus d’ouverture : «J’aime dire la messe, c’est la chose la plus importante dans ma vie et mon métier d’éducateur. Sur ma tombe, on écrira : “Il a aimé avec tout son cœur, mais le Seigneur lui a donné un cœur trop petit.
Le célibat, c’est la chance de notre vie
Au sujet des affaires sexuelles qui ont terni l’image de son grand ami, l’abbé Pierre, le Père Gilbert confesse :
Je ne me suis jamais douté une seule seconde qu’il avait ce grave problème. Pourtant, nous étions proches. C’est lui qui m’a remis ma Légion d’honneur ! C’est la chose terrible de l’Église. Il faut mieux discerner les vocations et prier sans cesse pour rester fidèle à sa promesse. Nous avons besoin du temps de toute une vie au service des autres. Le célibat, c’est la chance de notre vie. Je suis contre le mariage des prêtres, qui, selon moi, ne dissoudrait pas ce fléau.
Ami de Sarkozy
Idéologiquement, il se dit plutôt de gauche, même s’il est très proche de Nicolas Sarkozy : une amitié née en 1974 et marquée par des gestes comme le blouson de cuir offert par l’ancien président. En décembre 2007, Guy Gilbert est invité par Nicolas Sarkozy lors de son voyage officiel au Vatican pour rencontrer Benoît XVI.

Sarko a aussi aidé des jeunes de la rue ou de la Bergerie en pourvoyant des jobs stables et un toit loin des cités. Avait-il eu, quant à lui, l’idée ou l’envie de se lancer en politique ? Jamais :
Un prêtre, c’est la seule personne qui peut avoir une parole redoutable, la parole du Christ. Et surtout, je veux être un homme libre.
Ses références : le saint Curé d’Ars et le Padre Pio, par son charisme et sa lecture des âmes : « Ces grandes figures ont un talent pour guérir les gens. »

La Bergerie de Faucon : la rigueur et l’amour
En juillet 2025, il a fêté ses 90 ans et les 60 ans de son sacerdoce à la Bergerie de Faucon, ce havre qu’il fonde en 1974, grâce à un legs providentiel : une ferme en ruine au cœur des gorges du Verdon, à La Palud-sur-Verdon.
Depuis plus de cinquante ans, la Bergerie a accueilli et sauvé des centaines de jeunes en difficulté, venus de tous horizons. Des garçons de 13 à 18 ans y trouvent un équilibre familial. Ils partagent tout : cuisine, jardinage, soins aux bêtes, menuiserie et organisent même les visites guidées pour les touristes. « Grâce aux éducateurs et aux animaux, ils se remettent sur les rails».
Il m’est arrivé de mettre une droite évangélique dans la gueule d’un impertinent… avec amour. Je n’aime pas les jeunes insolents et malhonnêtes. Ils sont en rupture totale, plus personne n’en veut. Ils croient que tout est permis. Mais ce n’est pas cela la vie.
Depuis le Covid, le prêtre loubard a quitté Paris pour respirer un air plus propice dans le Sud. Il reste ce rebelle rock’n’roll, ce vagabond de l’amour qui, à travers ses livres et son œuvre, nous rappelle que l’Église n’est pas un musée poussiéreux, mais un chemin de fraternité.
ADMIRATION POUR FRANÇOIS
Il y a dix ans, Guy Gilbert a vécu un moment fort auprès du pape François, qu’il admire profondément. À l’invitation du souverain pontife, il a fêté ses 80 ans et ses 50 ans de sacerdoce au Vatican en célébrant la messe dans la chapelle de la Maison Sainte-Marthe. Un temps de prière d’une simplicité biblique, loin du faste pontifical. « Une messe de curé de campagne ! », avait-il confié, reconnaissant en François un frère d’âme, proche des plus humbles, comme lui.
Nous avons partagé des repas ensemble. Lui a fait installer des sanitaires et des douches autour de la place Saint-Pierre pour les SDF qui dorment dans le secteur.








