France, la liberté d’expression en grand danger

Au fur et à mesure que sa cote de popularité s’effondre (11 % d’opinions favorables selon un récent sondage) Emmanuel Macron songe à encadrer les radios, télévisions, chaines youtube, plateformes et même lanceurs d’alerte. Il cible avant tout CNews (photo©Yann), devenue en quelques années la première chaîne d’info de France.

Propos liminaires

Un brin d’imagination, SVP, chers Lecteurs. Admettons qu’infomeduse.ch soit domicilié et conçu en France. Si le projet d’une labellisation des médias, plateformes et même lanceurs d’alerte défendu par Emmanuel Macron finissait pas se concrétiser, le diffuseur d’un tel article pourrait voir son rédacteur en chef déféré devant la justice par le biais de ce qu’on dénomme en France un référé. Estimant qu’infomeduse.ch propage des informations fallacieuses ou même périlleuses, le juge saisi de cette « affaire » pourrait alors ordonner le gel de activité d’un tel site d’info en ligne et infliger une amende. Effrayant : nous nous enfonçons tous les jours davantage dans une société orwelienne.

 PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris (*)

Serait-ce de la science-fiction ? Non, pas vraiment. Dans un monde qui bascule soumis toujours davantage à la tentation totalitaire, de trop nombreux chefs d’Etat alliés au lobbying de l’industrie de la dématérialisation généralisée testent leur opinion publique pour voir dans quelle mesure ils peuvent aller plus loin encore dans leur volonté de dresser leurs administrés comme autant de chiens alimentés avec la pâtée de la peur. Assurément, Emmanuel Macron a repris à son compte de telles idées. Et plusieurs voix  – pas toutes hélas –  se sont élevées contre sa dernière lubie : labelliser les médias. Cette intention, il l’a révélée devant un aréopage de lecteurs de la Voix du Nord, un important quotidien régional plutôt ancré à gauche. (En 2015, à la veille d’élections régionales, la Vdn avait appelé à voter contre la candidate Marine Le Pen.)

Dessin YLH


A cette occasion, le président français n’a pas caché la méfiance qu’il voue à la presse. « L’information est une matière dangereuse à manipuler », a-t-il décrété. Ses mots ont déclenché une tornade de critiques, plus particulièrement dans les rangs de la droite et de « l’extrême droite ». Emmanuel Macron a fait allusion à un dépôt de plainte pour diffamation effectué aux USA contre Candace Owens, une sulfureuse commentatrice politique. Miss Owens avait posté sur les réseaux sociaux une série de vidéos destinées à accréditer l’idée que Brigitte, l’épouse du président serait en réalité un homme. Evoquant les ravages de la rumeur, Emmanuel Macron a ajouté que son épouse et lui avaient été la proie d’accusations infondées :

Dans ce cas on est alors totalement démuni. Cela prend un temps fou ; il y a des fadas (sic) pour croire à de telles infamies.

«Le Monde » et son Decodex

Les bavardages de Candice Owens : voilà sans doute l’affaire qui a fait déborder le vase de la colère présidentielle.

Mais si le projet de loi que nourrit le chef de l’Etat venait à voir le jour, quel serait le mécanisme déclenché pour clouer le bec aux médias trop bavards ? Tocsin est jeune chaine youtube dont la matinale remporte un énorme succès (plusieurs dizaines de milliers d’auditeurs certains jours !).  La journaliste Clémence Houdiakova a invité deux experts afin de commenter le polémique projet de loi présidentiel.

Il pourrait y avoir un système comparable au Decodex que le journal Le Monde avait proposé une dizaine d’années auparavant, a fait valoir Claude Chollet, fondateur de L’Observatoire du journalisme « Trois couleurs seraient attribuées. Le vert signifie « Vous pouvez passer ». L’orange veut dire « Veuillez freiner. » Enfin, le rouge indique « Stop » !

Claude Chollet a mentionné un point important :

Si vous êtes classé en rouge, vous risquez de perdre des annonceurs. 

Mais ce n’est pas tout, ainsi que l’a suggéré Jean-Pierre Prigent, avocat au barreau de Paris. Très remonté contre Emmanuel Macron qu’il qualifie de « blagueur », il revient sur l’aspect juridique.

Bien sûr, il est question de la possibilité d’un référé à l’encontre des coupables présumés d’une information fallacieuse. Mais la dispense d’un jugement en bonne et due forme est très contestable.


Une précision s’impose : dans l’esprit du président, les sites d’information en ligne (parmi lesquels les chaines youtube), les plateformes et les lanceurs d’alerte seraient concernés par ce projet.

RSF, labellisateur ambigu?

Le président Macron, un esprit réputé brillant mais pétri de contradictions (le fameux « en même temps »), a voulu éclaircir un point essentiel : qui serait donc amené à délivrer ces labels ? Il a évoqué une instance soi-disant indépendante du pouvoir. Voilà donc écartée l’éventualité de confier cette tâche à l’Arcom, le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Vraisemblablement, ce serait à RSF, Reporters sans Frontières, que devrait échoir la responsabilité de labelliser les médias. Semblable hypothèse a de quoi inquiéter : il s’agit d’une ONG internationale dont l’ambition initiale était de voler au secours de journalistes aux prises avec la Justice dans des pays gouvernés par des dictateurs et des autocrates. Or, au fil des années RSF s’est gauchisé, au point de compter parmi ses dirigeants Pierre Haski, l’une des icones du « journalisme de gauche », un ancien de Libé qui tient actuellement une chronique sur France Inter, une radio financée par l’Etat. Le budget de RSF est abondé notamment par le philanthrope et lobbyiste George Soros. Ces liens entre le milliardaire rouge et l’ONG ont été dévoilés par Paul Amar, un ancien correspondant de guerre qui dans les années 90 a présenté le journal sur Antenne 2 (devenu France 2). Moins de deux ans avant l’élection présidentielle, voilà qui nous amène à évoquer le combat acharné qui s’exacerbe entre la chaîne d’infos en continu CNews et le président de la République. Paul Amar intervient en qualité de chroniqueur, lors d’émissions diffusées par CNews.

Contrôle de police, rue de Rivoli, mai 2023. La montée de la violence et des incivilités en France, un sujet de prédilection de CNews, se traduit par une augmentation des contrôles de police, entre autres routiers. Photo©Yann


La chaîne qui déchaîne 

Devenue le leader des chaînes d’info en continu en France, CNews se trouve désormais dans le collimateur du président Macron en personne. Elle incarne le renouveau, dans ce pays, d’une presse mêlant allègrement information et commentaires, avec un penchant assumé pour la droite et même ce qu’on appelle non sans exagération « la droite dure ». Plusieurs de ses émissions font exploser le compteur : près de 20 % de part de marché pour L’Heure des Praud que présente chaque jour en semaine le journaliste Pascal Praud, l’une des bêtes noires de la gauche française. Quelles sont les raisons de ce succès retentissant? Précision de Serge Nedjar, directeur général de CNews, dans le cadre d’une interview publiée par l’hebdomadaire JDNews :

Ceux qui s’érigent en donneurs de leçons sont dans le déni sur des sujets aussi essentiels que la sécurité, le coût de la vie, la justice, les problèmes migratoires ou la politique.


CNews nage à contre-courant des médias mainstream. Chaînes de télévision, radios et presse écrite, sauf de rares exceptions, considèrent comme des « faits divers » des évènements tels que ceux-ci: assassinats d’enfants et d’adolescents commis par des étrangers sur le sol français en situation irrégulière, violences commises à l’encontre de policiers et gendarmes, actes de vengeance ayant pour cibles des personnes engagées dans la lutte contre le narco-trafic et la propagande faite par les islamistes. De même actes sanglants et tout au moins violents relevant de l’antisémitisme, etc.

Une souveraineté en lambeaux

Pas un jour ne se passe sans que « la chaîne qui déchaîne » ne révèle une exclusivité. Les deux-cents journalistes salariés par CNews sont des professionnels aguerris, jalousés par toute une profession. Parmi les sujets de prédilection de la rédaction : la prédominance des étrangers dans les statistiques et les études portant sur les crimes, délits et attentats, la montée de l’islamo-gauchisme et l’antisémitisme; le danger que fait peser sur la France le crime organisé (que ce soit le narcotrafic, les réseaux de passeurs de migrants, etc.), les excès patents du wokisme. En outre, CNews est l’un des seuls grands médias français déplorant ouvertement la perte de sa souveraineté subie par l’Hexagone. A maints égards, l’Europe est devenue la mère de substitution de la France qui lui a confié le soin de faire, chez elle, la pluie et le beau temps d’un point de vue législatif. Il semblerait même que le projet de labellisation des médias couvé par Emmanuel Macron trouverait sa source dans un règlement initié en 2018 puis remodelé par la Commission européenne en 2024, plus précisément l’European Board for Media Services–EBMS (Comité européen pour les services des médias). L’un des chroniqueurs les plus en vue sur le plateau de CNews, le philosophe Michel Onfray, est un souverainiste convaincu, co-fondateur de la revue Front Populaire.

Par ailleurs, CNews tire à boulets rouges sur le service public de l’audiovisuel dont le budget annuel excède quatre milliards d’euros et qui selon des sources bien informées serait au bord de la faillite. Ces critiques sévères ont redoublé après la diffusion par France 2 d’un reportage à charge sur … CNews dans le cadre de l’émission Cash Investigation. Truffé de mensonges ce reportage transpirait la jalousie, comportant des interviews en caméra caché.  

Prochain article: CNews et les médias contrôlés par Vincent Bolloré livrent, à juste titre, une guerre sans merci à France Télévision, un groupe public au bord de la faillite dont plusieurs élus soutiennent une privatisation partielle.

(*) Yann Le Houelleur, artiste plus ou moins précaire œuvrant dans les rues de Paris, s’occupe d’un journal numérique intitulé Franc-Parler (en sous-titre : « L’Inspiration ») qu’il avait fondé au Brésil où il fut pendant de longues années le correspondant de plusieurs médias français et même helvétiques. Franc-Parler partage avec infoméduse de fortes convictions : des analyses et des enquêtes sans compromis, une grande liberté de ton, une curiosité tous azimuts et une cohabitation, au sein d’une même rédaction, entre des journalistes pros et des auteurs en quête d’un espace crédible voire agréable pour s’exprimer et partager des idées tout comme des idéaux.

Franc-Parler n°55 et 56 – Cahier n° 1 – Partie 1 – Novembre 2025

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5 commmentaires à “France, la liberté d’expression en grand danger”

  1. Avatar photo
    Christian Lecerf 9 décembre 2025 at 15:35 #

    Ce qui est reproché à CNews, c’est moins son discours sur le fond que le manque de diversité des sujets abordés. Lorsque je « zappe » en passant d’une chaîne à l’autre, je suis certain en tombant sur CNews de voir un sujet comme les immigrés sources de violence et de dépenses (aide au logement, à la santé,… ), les narcotrafiquants ou bien la submersion musulmane, principale obsession de Philippe de Villiers qui, d’ailleurs, a son rond de serviette les vendredi en fin de journée. CNews s’est donc fait taper sur les doigts par l’autorité de tutelle et l’Arcom. Résultat : vous pouvez regarder un reportage sur la gauche ou un entretien avec un homme ou une femme de gauche, mais il faut vous lever à 3 heures du matin…
    Bref, le sujet est délicat dans la mesure où on l’on parle du droit à s’informer.
    Pour ma part, je choisis de ne pas regarder cette chaîne que je trouve partisane, orientée et parfois malhonnête dans sa présentation des faits. Peu de contradicteurs et, s’il y en a, ce sont des cireurs de pompes ou bien des affidés.
    Ceci étant dit, chacun doit juger par soi-même et faire preuve de sens critique. Je ne suis pas certain que l’initiative présidentielle soit très opportune… ou bien il s’est mal expliqué sur ses intentions.

    • Le Houelleur Yann 10 décembre 2025 at 00:37 #

      Cher Monsieur, je respecte votre opinion et vous démontrez d’une certaine manière que la liberté première est de choisir le média correspondant le plus à ses pôles d’intérêt personnels et non point l’obligation d’être soumis à un seul média prétendument neutre. Il est clair, effectivement, que C8 n’est pas neutre mais la chaine a trouvé un public que ne satisfaisaient pas ses concurrent(e)s d’autant plus qu’elle a obtenu le leadership des chaines infos. Un public préoccupé par les sujets que ses journalistes traitent. Si je la regarde, c’est d’abord parce qu’elle traite des thèmes d’actualité ailleurs mis sous le tapis ou abordés du bout des lèvres: les journalistes et chroniqueurs de CNews n’inventent rien… non, ils présentent, à leur manière, des évènements, des faits de société qui sont la réalité quotidienne de millions de Français. Ainsi ai-je appris, en ce qui me concerne, beaucoup de choses que je ne voyais pas dans l’agenda des professionnels travaillant pour les autres chaines infos et pour les autres médias de l’audiovisuel en général. Quant à Philippe de Villiers, permettez-moi de vous dire qu’il n’éprouve pas d’obsession mais qu’il nourrit des soucis légitimes tels que l’effacement à vitesse grand V de la souveraineté, et lui au moins a pu se faire de M. Macron une idée fiable puisqu’il a fréquenté le président et éprouvé, initialement, de la sympathie pour lui.
      Curieuse, cette phrase émanant de vous… « Résultat : vous pouvez regarder un reportage sur la gauche ou un entretien avec un homme ou une femme de gauche, mais il faut vous lever à 3 heures du matin… » Si je ne m’abuse, ce sont des propos qu’a tenu un membre de RSF…

  2. Christian Campiche 10 décembre 2025 at 10:01 #

    La question n’est pas d’aimer ou détester tel ou tel média. L’enjeu – Yann Le Houelleur le montre parfaitement – est la liberté d’expression, mise en péril par la labellisation dans la mesure où celle-ci entraîne des appréciations pas forcément objectives car émanant d’une entité aux mains du pouvoir politique. « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire » (Evelyn Beatrice Hall qui met la citation dans la bouche de Voltaire).

  3. Avatar photo
    Christian Lecerf 10 décembre 2025 at 10:35 #

    Cette petite polémique me rappelle une phrase de Desproges sur le journal d’extrême-droite Minute : « en le lisant on a tout Sartre, la nausée et les mains sales… »
    Un peu d’humour, ça fait du bien !!

  4. Christian Campiche 10 décembre 2025 at 14:55 #

    Minute, tatillon!

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