Dix ans après l’introduction de l’agriculture OGM au Canada, Pat Binns, premier ministre de la petite province agricole de l’île du Prince-Edouard (135 000 habitants) située dans le golfe du Saint-Laurent, veut faire de l’île une zone sans OGM. Agriculteur lui-même, Binns voit dans sa motion «une opportunité de différencier notre production du reste du continent».
La motion sera soumise aux parlementaires avant la fin de l’année. La décision de la province, comme celle de la Suisse le 27 novembre prochain qui se penchera sur l’initiative «pour des aliments produits sans manipulations génétiques», marquerait-elle un fléchissement dans la courte histoire de l’agriculture transgénique?
Les raisons de la colère
En pleine période de récolte de pommes de terre, production principale de l’île, Jeanne Maki trouve le temps de répondre à nos questions: «Les cultures d’OGM sont connues au Canada pour contaminer les champs non transgéniques». Selon l’agricultrice, si l’île ne fait rien pour se protéger, c’en sera fini de la réputation «sans OGM» pour les pommes de terre insulaires, et pour les semences exportées à plus de 20 pays.
Si elle se réjouit que le débat prenne de l’ampleur, elle se veut aussi lucide: «Je suis sûre que le gouvernement a déjà cédé aux pressions de l’industrie et du Gouvernement américain en faveur des OGM.» Même avis chez Sharon Labchuk, cheffe du Parti vert et militante à Charlottetown, la petite capitale provinciale: «Notre statut d’île est notre seul outil de marketing.
En nous déclarant 100% libres d’OGM, nous intéresserons des marchés plus lucratifs que si nous produisions la même chose que le marché global».
En 1999, nous raconte Labchuk, les provinces maritimes de l’Est canadien ont commandé une étude de marché sur les produits bio dans la grande région de Boston. Résultat? Le marché serait porteur et augmenterait exponentiellement. D’ailleurs, McCain, géant canadien de l’alimentation et acheteur principal de la production de l’île, ne commercialise depuis 1999 que des pommes de terre non-OGM. Conséquence directe, la culture de pommes de terre, qui représente le tiers des revenus de l’île, est aujourd’hui 100% non-OGM.
Mais en face, il faut compter avec des lobbies qui tentent de persuader les parlementaires d’adopter les cultures OGM. Biotech Canada notamment fait miroiter les investissements de l’entreprise bostonienne AF protein, dont les bassins installés dans l’île fourniraient le continent avec des saumons transgéniques résistants au gel. Le Ministère canadien de l’agriculture mentionne un possible financement fédéral pour la production de colza OGM à transformer en biodiesel écolo. Ces deux projets tomberaient à l’eau si la motion Binns passait.
Régions sans OGM
Pat Binns n’est pas le seul à vouloir faire de sa province un îlot de qualité. En mars de l’année passée, 56% des électeurs du conté californien de Mendocino se sont déjà prononcés par référendum pour bannir les OGM de leurs cultures. Une première sur le continent, alors que d’autres contés préparent leur propre referendum. En Europe, le «Manifeste de Berlin pour des régions sans OGM» regroupe presque 100 régions (dont 11 régions sur 27 en France) déclarées “zone sans OGM”. Ce qui restera à trancher dans la prochaine bataille entre pro et anti-OGM, c’est la constitutionnalité de ces boycotts régionaux.
«Nous cherchons à remédier aux blocages locaux en poussant le gouvernement fédéral (étasunien, ndlr) à maintenir l’option transgénique» déclarait au lendemain du referendum de Mendocino Allan Noe, Vice-président de Croplife International, «fédération globale» de l’industrie OGM basée à Bruxelles. Les nouveaux champs de bataille, régionaux, imposés par les agriculteurs, leur donne l’avantage.
Pour l’instant. L’institut Léger-Gallup dans un sondage réalisé en février révèle que les réponses des indécis mis de côté, 62% des électeurs de l’Ile du Prince-Edourard se prononceraient en faveur de la zone sans OGM, contre 38% d’opposants. Une préfiguration du choix que les Suisses prendront le 27 novembre prochain ?
Article paru dans “La Liberté” du 12 novembre 2005