Journalistes ou communicateurs?


La «com», vous connaissez? La «com», la communication si vous préférez, est cette branche de l’économie où travaillent les professionnels en relations publiques. Dans le jargon, on parle aussi des PR. Leur boulot est d’exprimer la pensée de leurs employeurs, les directions des entreprises publiques ou privées. Ce métier n’a rien à voir avec celui de journaliste et pourtant la tendance est de lier les deux. Dans certaines écoles de journalisme, les programmes préparent simultanément aux deux débouchés. Perversion d’époque.

Et confusion des genres dangereuse pour l’équilibre démocratique. Aujourd’hui, en effet, le rôle des PR s’est affirmé au point que ces derniers sont devenus les interlocuteurs incontournables pour les journalistes qui veulent avoir le point de vue d’un spécialiste. La consigne est stricte, impossible de s’adresser directement à la personne concernée. Alors que jadis on composait aisément le numéro direct d’un fonctionnaire de la Confédération, aujourd’hui la fouille intellectuelle est de mise. Le PR est le cerbère de l’information officielle, le porte-voix de la propagande.

Une pratique érigée en système qui se nourrit d’un malentendu. Pour une catégorie de la population éduquée à coups de slogans consuméristes, l’information citoyenne et le message publicitaire se confondent. Le journaliste peut et doit jouer le rôle de rempart, mais il n’a pas toujours la formation pour le faire. S’il n’y prend garde et que sa vocation d’empêcheur de tourner en rond est fragile, il cédera à son tour à la tentation d’amalgamer le rédactionnel et le message publicitaire. Psychologiquement, il est mûr pour entrer dans la com. Ce destin n’en sera que plus facilité s’il est engagé au rabais, tendance qui s’accentue avec la montée en force des journaux gratuits.

Car la statistique est sans appel: depuis 2004, les journalistes gagnent moins en moyenne, comme le montre une analyse réalisée par différents syndicats. Mal payés, ils se sentent en outre peu valorisés. «Les talents ne sont pas encouragés, les journalistes ont toujours moins de temps pour l’investigation; résultat: ils sont frustrés et vont dans la com.» La semaine dernière à Berne, lors d’un colloque consacré à l’influence de l’économie sur la presse, la porte-parole de Migros, Monica Glisenti, une ancienne journaliste du groupe Ringier, a insisté sur les motivations de ses collaborateurs au service de presse du grand distributeur, des confrères et consœurs qui ont déserté les médias.

Mais elle n’a pas répondu à la question de savoir si ces transfuges ne connaissent pas à leur tour une certaine frustration que ne compense pas un salaire confortable. Celle de journalistes qui ont abdiqué leur foi en un métier qui a sa part de noblesse parce qu’il répond aussi et surtout à un idéal.

*Article paru dans “La Liberté” du 20 septembre 2007

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