L’économie parviendra-t-elle à assumer toute seule les conséquences des changements climatiques? En préambule à la conférence de Bali sur le climat qui se tient jusqu’à demain, 150 patrons de transnationales ont témoigné de l’importance qu’ils accordent à ce problème planétaire en signant une déclaration appelant à l’adoption de mesures concrètes.
Parmi ces responsables, Ivo Menzinger, le chef de l’unité développement durable et risques financiers de Swiss Re, 11 000 employés et deuxième réassureur mondial. Un groupe manifestement désireux de joindre le geste à la parole puisqu’il s’est engagé à réduire de 15% sa propre consommation d’énergie au cours de la prochaine décennie.
Tempêtes hivernales
Depuis le début des années 50, le nombre des catastrophes naturelles annuelles a presque quintuplé. Le coût des sinistres a été multiplié par douze, celui des dommages assurés par cent. En cause: une densité d’assurance plus forte, l’augmentation des valeurs, la concentration des valeurs sur les côtes et dans les métropoles, ainsi que la variabilité du climat.
Mandatée par les assureurs helvétiques, une étude de l’Ecole polytechnique de Zurich parvient à la conclusion que le nombre et l’intensité des tempêtes hivernales en Europe vont encore s’accroître, «entraînant de lourdes conséquences pour le secteur des assurances».
Dans une publication du Credit Suisse parue en 2005, un expert du groupe Münchner Rück estime inévitable que les changements climatiques se traduiront par l’augmentation des primes de réassurance, dont les tarifs sont renégociés chaque année.
Jamais à court d’imagination, les spécialistes financiers ont aussi inventé de nouveaux instruments destinés à placer les risques sur les marchés des capitaux, comme les «cat bonds» (obligations catastrophe), des papiers-valeurs dont le rendement est adapté à leur nature très risquée.
Rendement très attractif
Si un cyclone, un tremblement de terre ou un typhon d’ampleur se produit, les investisseurs peuvent, en effet, perdre tout ou partie de leur coupon. Si à l’inverse aucun événement ne survient, ils sont rémunérés grâce à un rendement très attractif. Grâce aux «cat bonds», assureurs et réassureurs espèrent surmonter un tremblement de terre de l’ampleur de celui qui dévasta San Francisco en 1906.
Pour autant, la branche des assurances ne sauvera pas le Titanic. Elle n’est surtout pas résolue à couler avec lui. PDG de Swiss Re, Jacques Aigrain est très clair quand il assure, dans «Clarity», publication du recruteur KPMG: «Nous n’assurons que les risques dont nous attendons un bon rendement.»
Analyste à l’UBS, Simon Fössmeier n’en relève pas moins, dans une étude sectorielle, que le calcul des primes nécessaires à la couverture des dommages est devenu «un défi de plus en plus complexe pour les assureurs». Quel événement, par exemple, a été à l’origine des dommages causés par Katrina à La Nouvelle-Orléans? La tempête, l’inondation? Et de se demander si, à l’avenir, «le secteur de l’assurance sera en mesure de payer les dommages élevés causés par les catastrophes, ou si ce risque pourra être reporté sur les marchés des capitaux».
Sentiment d’amertume
Une autre question fondamentale est de savoir si l’Etat, donc le contribuable, n’est pas condamné en définitive à casquer pour les changements climatiques. Après Katrina, en sus des milliards versés par les assureurs, le Congrès américain se vit contraint d’allouer 110 milliards de dollars à la reconstruction de La Nouvelle-Orléans. Plus près de nous, dans le canton de Berne, la couverture des coûts directs des dommages causés par les intempéries de 2005 passa aussi par l’Etat. Le canton déboursa 160 millions.
«Dans les cas extrêmes, c’est à l’Etat qu’il est fait appel», confirme l’analyste Simon Fössmeier. Une analyse que ne dément pas un rapport élaboré par l’Ecole nationale des ponts et chaussées en France, avec la collaboration d’experts de Swiss Re. «Les Etats sont les assureurs en dernier ressort», conclut ce document qui s’achève sur un «sentiment d’amertume». «Que le réchauffement climatique existe ou non, les pays développés sont confiants, voire prêts à faire face en développant de nouveaux instruments financiers. Mais les grands perdants sont les pays pauvres, laissés dans l’oubli. A l’heure actuelle, les populations se trouvent démunies face aux catastrophes naturelles. Qu’adviendrait-il si le réchauffement climatique aggravait encore cette situation?»
*Article paru dans “La Liberté” du 13 décembre 2008