L’écrivain et poète suisse Hans-Peter Gansner a traduit et adapté pour La Méduse le mélodrame allemand “Schön Hedwig”, allusion à l’affaire Edvige en France (fichage des enfants à partir de 13 ans, des syndicalistes et des altermondialistes). Son texte s’inspire également des trois cas récents de taupes dans les milieux altermondialistes suisses.
À l’occasion du BIG BROTHER AWARD 2008:
Edvige[1] en France et les taupes en Suisse– un mélodrame politique moderne
(D’après Friedrich Hebbel, poète romantique allemand)
(La scène se passe dans une salle de réunion d’une ONG suisse ou d’un syndicat français. Nous sommes la veille d’une importante journée d’action…)
Dans le cercle des camarades siège
Un militant jeune et preux;
Et son œil noir (!) étincelle…!
Eh oui: c’est avant une action décisive
Et ses joues s’enflamment: rouge (!)
Une tendre fille s’approche de lui
Et lui remplit la coupe attentivement.
Et puis se retire poliment dans les coulisses;
Et quand l’aube du jour de grève se lève
Un rayon touche le front du camarade.
Mais notre militant prit vite la fille
Par sa blanche main et voulut la baiser.
Mais elle baisse d’abord son œil bleu clair
Empli d’une douce pudeur fau culiste,
Puis, le fixe pleine d’assurance.
“Ma belle Edwige que voici,
Dis-moi seulement trois choses:
D’où viens-tu, où vas-tu, et puis:
Pourquoi tu ne me lâches pas les baskets?
Voilà mes trois questions, un point, c’est tout.”
“Mais, d’où viens-je? Je viens de très “haut”,
C’est ce qu’on m’a toujours dit
Quand on m’a raillée, oh, jadis,
Alors que moi, en larmes,
Des copains, je cherchais…
Et où vais-je? – Je ne désire
Point rester dans le monde ouvrier.
Pourquoi errer de ville en ville?
N’importe où peuvent régner
Mes hommes de liaison, mes informateurs!
Pourquoi obéis-je au moindre geste?
Mais – ? Comment hésiterais-je
À te servir à table le vin pendant des mois;
À genou je t’implorerai nuit pour nuit,
Et toujours je le ferai dans un seul but…”
“Alors je pose, belle tête blonde,
Une quatrième question:
Et à celle-là, réponds-moi vite,
Après je te laisse en paix:
Jeune fille: Est-ce que tu m’aimes?”
D’abord elle ne bouge pas d’un pouce
Et promène son regard
Sur les convives aux mines graves.
Elle joint les mains et parle
Et dit:” Aimer – en fait, n’est peut-être pas le mot…
Mais maintenant, je sais moi-même
Où je dois aller t’accompagner…
C’est indépendant de ma propre volonté,
Et maintenant, je sais moi-même
Que seul me siéra le voile…”
“Non, non, viens dans mes bras, car
Quand tu dis que tu viens de très ‘haut’,
J’ai senti que c’était vrai et malgré ton mépris
Du monde ouvrier, je t’épouserai ce même jour
Et devant Dieu, ma petite chrétienne!
Camarades, je vous ai conviés
Avec un but caché que je vais vous avouer –:
Illustres preux, pleins de fierté, car sans tarder:
On va maintenant se rendre à la chapelle
Pour fêter ma plus belle qui sera ma fiancée!”
Mais à peine à la chapelle
Edvige dit d’une voix cruelle:
“Je t’ai observé, et j’ai fiché pendant
Des mois et des mois ton comportement
De dangereux militant et d’affreux bon-vivant –
Te voilà, en taule! Pour une peine éternelle, j’espère!”
Et elle tourna la clef derrière lui!
H.P.Gansner, Genève et Haute-Savoie, octobre 2008.
(Publication récente de H.P.Gansner: STERNSTUNDEN UND ANDERE DESASTER, 1968 und kein Ende, Signathur Verlag, Dozwil, 2008)
[1] Le fichier Edvige (pour “exploitation documentaire et valorisation de l’information générale”), institué par le décret paru le 1er juillet 2008, permet une large collecte d’informations “à caractère personnel” sur toute personne “susceptible de porter atteinte à l’ordre public”, dès 13 ans, ainsi que sur les responsables politiques et syndicaux.